Le char des sots
En ex-Yougoslavie, les réfugiés tentent de rejoindre la Hongrie afin de se mettre à l’abri des combats. La famille Hradié, appartenant à l’ethnie serbe, ne possède pas de transport et la fatigue gagne rapidement les plus jeunes et les plus vieux sur les routes défoncées. Un matin, alors que les Hradié s’étaient trouvés la veille un abri dans une grange qu’ils croyaient abandonnée, ils découvrent avec stupeur que l’endroit était déjà occupé par deux autres familles, une de Bosniaques et l’autre de Croates. C’est avec méfiance que le groupe de réfugiés se toise pendant les ablutions matinales. Cependant, l’un d’eux découvre par hasard, dans un enclos retiré non loin de là un boeuf seul survivant de son troupeau, car il est entouré de cadavres de congénères. La grange recelant une charrette abandonnée de dimensions respectables, les trois familles décident d’y placer les plus faibles, ainsi que leur maigre avoir, et de se lancer sur les routes. Bien que tous soient conscients que, dans ces contrées, il importe peu de savoir quelle armée tient le terrain, puisque, de toute façon, le danger est omniprésent quelle que soit l’ethnie, il n’en demeure pas moins que la méfiance est de règle. Les tempéraments sont prompts à lancer des accusations lorsque des contrariétés surgissent. Cependant, l’instinct de conservation oblige les belligérants à se serrer les coudes et à étouffer leurs rancoeurs ancestrales devant le danger commun. Tandis que les trois familles jouent au chat et à la souris avec les combattants qui se disputent âprement la campagne et qu’elles tentent de faire avancer le plus rapidement possible leur lent moyen de transport, les jours passent et une trêve tacite s’installe au point où les familles partagent, en plus des peines, quelques-unes de leurs joies. Elles mettent en commun leur maigre pitance et, lorsque le grand-père Hradié se blesse en descendant de la charrette au cours d’une alerte aérienne, c’est le chef de la famille bosniaque qui le porte sur son dos afin de le mettre en sécurité auprès des siens. Dans ce climat de détente, une idylle point entre la fille Hradié, une adolescente d’une quinzaine d’années un peu trop dégourdie pour son propre bien, et l’aîné de la famille croate, un solide gaillard d’une vingtaine d’années. Le plus jeune des Bosniaques, un garçon de treize ans, qui s’était épris de la fille Hradié, surprend les amants dans un de leurs rares moments d’intimité. Malade de jalousie, le garçon court révéler ce qu’il a vu. Aussitôt, le ton monte entre les trois familles. Le conflit éclate ouvertement alors que le groupe se dispute le véhicule, cherchant à en rejeter les possessions des autres. Un blindé de l’ONU, croyant avoir affaire à une attaque de partisans, les fauche à la mitrailleuse.
– Mega Laumann – Traduit du croate par Milosev Ytsch – 422 p. – 1997 – Hybride de la nef des fous et de Mère Courage, cette équipée hallucinante sur les chemins de la guerre et de l’absurdité frappe autant par l’horreur que l’on retrouve pulsant à chaque page que par l’indifférence qu’elle rencontre chez les protagonistes. Où est l’inhumanité ? Dans la guerre, ou chez ceux qui la font ?
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