Le cataplasme de Kata Platz
Au moment de l’érection du mur de Berlin, la ville s’est retrouvée coupée en deux. Nulle part ce schisme n’a été davantage ressenti que sur la place Kata, baptisée en l’honneur de Emil Kata, un biochimiste originaire de Dresde. La place comptait, au nord, les habitations des ouvriers de Berlin-Est et, au sud, une zone industrielle qui fut, pendant les années 1970, envahie par les immigrés d’origine turque. De part et d’autre de Kata Platz, donc, les styles architecturaux ne présentent aucune recherche digne de mention. Lorsque le mur est jeté à bas, les autorités doivent envisager le développement urbain de manière à intégrer les deux moitiés de ville qui se sont ignorées pendant longtemps. Kata Platz présente cependant un potentiel unique. On peut, dans cet immense espace, créer des formes qui témoigneront de la renaissance de la capitale allemande et souder, de manière définitive, l’Est et l’Ouest. La ville fait alors appel à un jeune architecte, Conrad, afin de mettre Kata Platz en valeur. Non seulement s’agit-il de construire un nouvel espace commercial, avec ses boutiques et ses centres récréatifs, mais encore faut-il fondre celui-ci dans le quartier environnant de manière aussi harmonieuse que possible. Les premières esquisses de Conrad demeurent trop conservatrices pour les autorités. Le projet de Kata Platz doit devenir le navire amiral du nouveau Berlin. Aiguillonné par les administrateurs, Conrad présente alors un projet gigantesque devant, essentiellement, remplacer la place par un centre de loisirs dont les accès symétriques débouchent au nord et au sud. Cependant, le projet exige la démolition de certains édifices à logements. L’intervention de la mairie limite les démolitions uniquement aux HLM situés au nord de la place, dans l’ancien Berlin-Est. Les ouvriers menacés d’expulsion protestent énergiquement, tandis que des actes de sabotage sont commis sur le chantier lui-même. Bien qu’expropriés, les habitants du côté nord occupent illégalement leurs anciens logements et ce n’est qu’une intervention en force de la police qui réussit finalement à vider les lieux. Le cataplasme qui devait guérir les anciennes plaies de la guerre froide est devenu du jour au lendemain un foyer de dissensions et, tandis que des airs de scandale viennent hanter les officines d’urbanisme, Conrad, dont l’idéalisme est fortement ébranlé par cet enchaînement d’événements fatidiques, en vient à s’interroger non seulement sur lui-même, mais aussi à se demander en quoi « son » système est fondamentalement meilleur que celui qui a disparu.
– Line Stahl – Première publication : 1992 sous le titre de KataplatzGedechtnis – Traduit de l’allemand par Ledev Warmapehl – 518 p. – 1993 – Succès fulgurant en Allemagne, ce roman a connu une carrière tout aussi étourdissante partout en Europe. Traduit en une douzaine de langues, il fut porté à la scène et à l’écran dans son pays d’origine.
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