Le Bonaparte manchot
Un écrivain sans le sou, Alexandre, met la dernière main à son nouveau roman. De l’avis général, et du sien aussi, il s’agit de sa meilleure oeuvre. Comme bien des écrivains, sa situation financière n’est guère brillante. D’ailleurs, ces derniers temps, elle s’est sérieusement détériorée, aussi s’empresse-t-il de faire parvenir le manuscrit à son éditeur. À qui veut l’entendre, il répète qu’il attend une réponse positive et, déjà, il se voit en lice pour un prix littéraire ou, à tout le moins, une subvention du ministère de la Culture. Mais lentement les semaines font place aux mois, lesquels se succèdent sans que la nouvelle tant attendue ne lui parvienne. Impatient, Alexandre prend contact avec sa maison d’édition, mais ce n’est qu’à grand-peine qu’il parvient à parler au responsable qui, lors d’une brève conversation téléphonique, se contente d’expliquer à Alexandre que le comité de lecture doit rendre sa décision incessamment, mais sans s’engager davantage. Alors que le temps passe et que les difficultés financières se multiplient, Alexandre se fait plus pressant et, à chaque nouvelle conversation, le responsable se fait de plus en plus hautain et autoritaire, se permettant même de livrer à l’auteur quantité d’excuses que ce dernier sait être fausses. Désormais menacé de faillite alors que son nouveau roman n’avance plus guère faute de moyens, Alexandre apprend deux mauvaises nouvelles. D’abord, son banquier lui réclame illico le paiement des mensualités sur sa voiture. Ensuite, sa femme lui annonce qu’elle en a assez de subvenir aux besoins d’un artiste raté. Abandonné et démuni, Alexandre trouve finalement refuge dans une misérable petite chambre, dont il n’a même pas les moyens d’assurer convenablement le chauffage. Ses jours passent désormais dans un semi-délire où il implore les êtres et les choses de bien vouloir lire le roman dont il raconte par le détail les moindres péripéties. Le reste de son temps, il rêve à l’appartement où il ira vivre bientôt, avec ses grandes pièces et, surtout, symbole absolu de confort matériel dans son dénuement glacé, son chauffage central. Il ne lui reste d’ami qu’une ancienne flamme qui s’émeut de son état et le pousse à reprendre le travail. Alexandre, plutôt que de se mettre à l’écriture, entreprend plutôt une campagne dans la presse et dans le milieu littéraire afin de dénoncer le laxisme et le mépris de son éditeur qu’il surnomme le « Bonaparte manchot », sans doute une allusion à l’impuissance de Bonaparte devant les steppes glacées de Russie. Alors que le printemps arrive à point pour soulager sa misère physique et morale, les lettres de diverses maisons d’édition commencent à affluer chez lui afin de réclamer une copie de son manuscrit.
– Judes Mindes-Villin – 298 p. – 1991 – Écrivant en pleine connaissance de cause, l’auteur a connu la déréliction matérielle pendant de nombreuses années, marchant littéralement dans les traces de Jack Kerouac, alors que, itinérant, il a erré à la recherche d’absolu. Rescapé par la littérature, il s’est affirmé comme un des écrivains les plus éclatants de sa génération.