Debout tabou !
La société québécoise de la fin des années 1950 est marquée par le repli sur soi et l’attachement viscéral aux valeurs traditionnelles. Alors que, malgré la mainmise presque totale du clergé sur la vie des personnes, un esprit de remise en question commence souffler sur les êtres et les choses, un événement hors du commun vient bouleverser l’existence jusqu’alors tranquille d’une petite communauté citadine frileusement pressée contre son clocher. En effet, Brahim, un jeune immigrant algérien, un universitaire fuyant la guerre dans son pays, s’installe dans un petit meublé coincé entre l’épicerie de quartier et la caisse populaire. Attiré à Montréal par la communauté linguistique et la réputation de pacifisme de la société, Brahim a décidé, en dépit de ses goûts personnels, de braver le climat. En effet, sa famille a été dispersée par la guerre et, s’il garde une correspondance suivie avec sa soeur vivant à Marseille et sa mère réfugiée à Paris, il reste sans nouvelles de son oncle, arrêté à Oran par la police française et de son père parti combattre, malgré son âge, dans le maquis. Brahim, dégoûté par l’extrémisme des uns et des autres, rêve de s’affranchir tout autant du colonialisme politique que du colonialisme moral des religions révélées. Aussi déchante-t-il lorsque, dans son pays d’adoption, les gens arborent un drapeau étranger et que le clergé garde toute la société sous sa poigne. Comme si ces désillusions ne suffisaient pas, il constate qu’il ne suffit pas de partager la même langue afin de se comprendre. Malgré toute la bonne volonté dont il fait preuve, il ne peut éviter de commettre impair sur impair. Que ce soit chez le boucher, lorsqu’il refuse de la viande de mouton qui n’a pas été tuée sous ses yeux, ou au presbytère lorsque, en toute bonne foi, il va payer la « taxe » du curé. Mais si la communauté finit par s’accommoder de cet étranger gaffeur malgré lui, elle ne cesse pas pour autant de le surveiller étroitement. Les choses se corsent lorsqu’il fait la connaissance d’une jeune femme. La famille voit d’un assez mauvais oeil cette « liaison dangereuse », comme l’appelle le notaire d’un air entendu. Le curé, quant à lui, ne prise pas du tout l’immixtion d’un infidèle dans « sa » communauté. Désormais le centre d’attention comme jamais, Brahim ne sait plus comment se faire bien voir. Afin de l’amadouer, il invite sa belle-famille à un repas traditionnel, qu’il prépare en suivant les instructions épistolaires de sa mère et de sa soeur. Lorsque la famille se présente chez lui, l’inévitable choc des cultures fait en sorte que, pour une fois, c’est le jeune Maghrébin, pantois de dépit devant le manque de savoir-vivre de ses hôtes, qui se trouve offensé.
– Omar Chéopas – 438 p. – 1991 – Né de père maghrébin et de mère québécoise, l’auteur s’est inspiré de sa dualité culturelle afin de rendre avec autant de justesse que possible à la fois les tourments, mais aussi le pittoresque, des situations qu’il met en scène. D’ailleurs, après la lecture de son roman, on ne peut manquer de se demander s’il s’agit bien là de simples situations ou, plus justement, de la vie elle-même.