Bar Lannuit
Dans une banlieue ouvrière d’une grande ville minière du nord de la France, une institution perdure malgré la grisaille qui, de jour en jour, se colle tant aux murs que sur les vies. Sous les pluies qui semblent tomber presque sans arrêt douze mois sur douze, un troquet, le bar Lannuit, accueille à toute heure ceux qui cherchent un asile afin d’oublier leur mal de vivre, ou de l’accentuer. Le bar est propriété d’Octave Lannuit, qui tenait l’établissement de son père, et qui, bien qu’imperméable à tout atavisme, tient à poursuivre une vocation familiale héritée autant des contraintes que d’une volonté consciente. Or, Octave Lannuit est maintenant veuf depuis plusieurs années, la providence l’ayant libéré juste à temps d’une union qui menait au désastre. À l’instar des fleurs qui prennent en beauté d’avoir crû sur un monceau de fumier, le mariage d’Octave Lannuit n’a produit qu’un seul enfant, une fille, mais d’une prodigieuse vénusté, prénommée Blanche. Les années ayant pris la mesure du colosse qu’était Octave, il se retire de plus en plus tôt maintenant, laissant les soucis et le service de son patrimoine à sa brune enfant qui, si elle ne possède pas le talent de son père pour ce qui est de servir les bières sans faux-col ni pour remplir les verres de gros rouge jusqu’à ras bord, arrive tout de même à attirer une clientèle tout aussi inconditionnelle que fidèle. Ainsi Blanche Lannuit étiole-t-elle sa jeunesse dans un milieu d’assommoir, à jouer du coude avec les buveurs avachis par l’alcool et ceux stimulés par l’espoir de la gaudriole. Le soir, après avoir fermé le bar et glissé entre les draps son corps d’albâtre fin qui luit dans les rais de lune, elle se laisse bercer par les rêves exotiques de pays lointains et de projets d’avenir, tous aussi improbables les uns que les autres. Une nuit, le quartier est réveillé par les sirènes des voitures de pompiers. Le lendemain, il faut se rendre à l’évidence : le bar Lannuit a été la proie des flammes. Pendant les semaines qui suivent, Blanche se prend à espérer que son père, avec l’argent de l’assurance, envisagera de prendre sa retraite et que, ce faisant, elle se retrouvera enfin libre de mener sa vie à sa guise. Mais elle doit déchanter vite. La compagnie d’assurance offre à Octave le choix entre une rondelette somme ou de payer la restauration du bar. Octave, en brillant homme d’affaires, préfère assurer l’avenir de sa fille en remettant l’institution familiale sur ses rails. Or, l’entrepreneur chargé des rénovations est un charmant jeune homme d’une trentaine d’années. Lorsqu’on trouve Octave, la nuque rompue après, semble-t-il, une malencontreuse chute dans l’escalier, les voisins commencent à remarquer que le jeune homme passe beaucoup de temps à rénover la chambre de Blanche.
– Marc Hassain – 298 p. – 1990 – Malgré ses accents de tragédie et de désespoir, ce roman constitue un conte d’un charme tout empreint de pudeur. S’il se fonde sur les rêves brisés et les espoirs déçus, l’auteur parvient, non sans une forte dose d’ironie sous-jacente, à relativiser les aspirations humaines et, surtout, leur légitimité.