samedi 11 décembre 2021
vendredi 10 décembre 2021
Catalogue
Le char des sots
En ex-Yougoslavie, les réfugiés tentent de rejoindre la Hongrie afin de se mettre à l’abri des combats. La famille Hradié, appartenant à l’ethnie serbe, ne possède pas de transport et la fatigue gagne rapidement les plus jeunes et les plus vieux sur les routes défoncées. Un matin, alors que les Hradié s’étaient trouvés la veille un abri dans une grange qu’ils croyaient abandonnée, ils découvrent avec stupeur que l’endroit était déjà occupé par deux autres familles, une de Bosniaques et l’autre de Croates. C’est avec méfiance que le groupe de réfugiés se toise pendant les ablutions matinales. Cependant, l’un d’eux découvre par hasard, dans un enclos retiré non loin de là un boeuf seul survivant de son troupeau, car il est entouré de cadavres de congénères. La grange recelant une charrette abandonnée de dimensions respectables, les trois familles décident d’y placer les plus faibles, ainsi que leur maigre avoir, et de se lancer sur les routes. Bien que tous soient conscients que, dans ces contrées, il importe peu de savoir quelle armée tient le terrain, puisque, de toute façon, le danger est omniprésent quelle que soit l’ethnie, il n’en demeure pas moins que la méfiance est de règle. Les tempéraments sont prompts à lancer des accusations lorsque des contrariétés surgissent. Cependant, l’instinct de conservation oblige les belligérants à se serrer les coudes et à étouffer leurs rancoeurs ancestrales devant le danger commun. Tandis que les trois familles jouent au chat et à la souris avec les combattants qui se disputent âprement la campagne et qu’elles tentent de faire avancer le plus rapidement possible leur lent moyen de transport, les jours passent et une trêve tacite s’installe au point où les familles partagent, en plus des peines, quelques-unes de leurs joies. Elles mettent en commun leur maigre pitance et, lorsque le grand-père Hradié se blesse en descendant de la charrette au cours d’une alerte aérienne, c’est le chef de la famille bosniaque qui le porte sur son dos afin de le mettre en sécurité auprès des siens. Dans ce climat de détente, une idylle point entre la fille Hradié, une adolescente d’une quinzaine d’années un peu trop dégourdie pour son propre bien, et l’aîné de la famille croate, un solide gaillard d’une vingtaine d’années. Le plus jeune des Bosniaques, un garçon de treize ans, qui s’était épris de la fille Hradié, surprend les amants dans un de leurs rares moments d’intimité. Malade de jalousie, le garçon court révéler ce qu’il a vu. Aussitôt, le ton monte entre les trois familles. Le conflit éclate ouvertement alors que le groupe se dispute le véhicule, cherchant à en rejeter les possessions des autres. Un blindé de l’ONU, croyant avoir affaire à une attaque de partisans, les fauche à la mitrailleuse.
– Mega Laumann – Traduit du croate par Milosev Ytsch – 422 p. – 1997 – Hybride de la nef des fous et de Mère Courage, cette équipée hallucinante sur les chemins de la guerre et de l’absurdité frappe autant par l’horreur que l’on retrouve pulsant à chaque page que par l’indifférence qu’elle rencontre chez les protagonistes. Où est l’inhumanité ? Dans la guerre, ou chez ceux qui la font ?
mercredi 8 décembre 2021
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Ce doit être un membre du barreau : il est toujours en prison !
Un avocat en vue, dont l’étoile est à la hausse, est amené à plaider une cause routinière devant un tribunal de basse instance. À un moment, un échange un peu vif avec le magistrat dégénère en malentendu et l’avocat se retrouve accusé d’outrage au tribunal. Malgré ses protestations, il est emmené en cellule où il passe la nuit avant d’être transféré vers une véritable prison. Alors que son univers ne tient plus qu’aux visites que sa femme et sa famille lui font avec une réticence mal dissimulée, il fait la rencontre, dans ces lieux, de quelques-uns de ses anciens clients. Certains d’entre eux ont connu auprès d’autres plaideurs des fortunes moins enviables ; les autres purgent la peine que l’avocat n’a pu leur éviter. Anticipant à tort quelque manoeuvre afin de tirer vengeance de leur emprisonnement, l’avocat, alors que les visites des siens s’espacent insensiblement, se lie d’une certaine amitié avec ceux qu’il considérait auparavant comme des malfrats. Il apprend d’eux certains trucs afin de se ménager une vie de geôle un peu plus agréable et, s’il est témoin de certaines amours surprenantes, il n’en est pas moins renversé de constater le degré de respect dont il bénéficie. Une fois sa caution payée, il ne retourne plus à la prison, sinon pour parler avec ses clients, mais aussi pour revoir ses « amis ». Ce genre de relations, de par leur sérénité, contraste vivement avec la vie qui l’attend lorsqu’il rentre chez lui. À la maison, la distance s’est creusée entre lui et sa famille. Sa femme, d’abord, déjà très occupée par ailleurs, semble l’éviter carrément. Ses enfants, une adolescente et un jeune garçon, d’ordinaire si insolents s’enferment dans un mutisme entêté, même sous ses pires provocations. Mais c’est également le voisinage qui se défie de lui. Ses désillusions ne font que s’accroître lorsqu’il prend contact avec son avocat qui ne semble lui porter qu’un intérêt relatif, refusant même de tenir compte de ses conseils, ou même de prendre son bien-être en considération. De plus en plus irrité par les lenteurs et, surtout, les exactions, de ce qu’il considère comme une accusation inique, le caractère de l’avocat commence à changer. Il devient de plus en plus irritable et cassant envers son entourage, aussi le peu de sérénité familiale subsistant disparaît rapidement. Lorsque son procès s’ouvre enfin, il constate que son représentant n’a pas du tout tenu compte du plaidoyer qu’il lui a suggéré. En plein tribunal, l’altercation éclate entre les deux avocats. Renvoyé en prison, il constate que ses amis ont tous été libérés sur parole.
– Claire Nhu – 300 p. – 1990 – Fable élaborée sur le thème de l’arroseur arrosé, ce roman donne un autre son de cloche quant au monde feutré et hypocrite de la justice. La grande originalité de l’oeuvre tient à ce que, plutôt que de voir ce monde inquiétant du point de vue du système ou de celui de l’accusé, l’auteur a imaginé une situation permettant d’aborder la question de manière neutre et objective. La chose est parfaitement réussie, mais le système judiciaire n’y gagne pas une réputation enviable.
mardi 7 décembre 2021
lundi 6 décembre 2021
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Le cataplasme de Kata Platz
Au moment de l’érection du mur de Berlin, la ville s’est retrouvée coupée en deux. Nulle part ce schisme n’a été davantage ressenti que sur la place Kata, baptisée en l’honneur de Emil Kata, un biochimiste originaire de Dresde. La place comptait, au nord, les habitations des ouvriers de Berlin-Est et, au sud, une zone industrielle qui fut, pendant les années 1970, envahie par les immigrés d’origine turque. De part et d’autre de Kata Platz, donc, les styles architecturaux ne présentent aucune recherche digne de mention. Lorsque le mur est jeté à bas, les autorités doivent envisager le développement urbain de manière à intégrer les deux moitiés de ville qui se sont ignorées pendant longtemps. Kata Platz présente cependant un potentiel unique. On peut, dans cet immense espace, créer des formes qui témoigneront de la renaissance de la capitale allemande et souder, de manière définitive, l’Est et l’Ouest. La ville fait alors appel à un jeune architecte, Conrad, afin de mettre Kata Platz en valeur. Non seulement s’agit-il de construire un nouvel espace commercial, avec ses boutiques et ses centres récréatifs, mais encore faut-il fondre celui-ci dans le quartier environnant de manière aussi harmonieuse que possible. Les premières esquisses de Conrad demeurent trop conservatrices pour les autorités. Le projet de Kata Platz doit devenir le navire amiral du nouveau Berlin. Aiguillonné par les administrateurs, Conrad présente alors un projet gigantesque devant, essentiellement, remplacer la place par un centre de loisirs dont les accès symétriques débouchent au nord et au sud. Cependant, le projet exige la démolition de certains édifices à logements. L’intervention de la mairie limite les démolitions uniquement aux HLM situés au nord de la place, dans l’ancien Berlin-Est. Les ouvriers menacés d’expulsion protestent énergiquement, tandis que des actes de sabotage sont commis sur le chantier lui-même. Bien qu’expropriés, les habitants du côté nord occupent illégalement leurs anciens logements et ce n’est qu’une intervention en force de la police qui réussit finalement à vider les lieux. Le cataplasme qui devait guérir les anciennes plaies de la guerre froide est devenu du jour au lendemain un foyer de dissensions et, tandis que des airs de scandale viennent hanter les officines d’urbanisme, Conrad, dont l’idéalisme est fortement ébranlé par cet enchaînement d’événements fatidiques, en vient à s’interroger non seulement sur lui-même, mais aussi à se demander en quoi « son » système est fondamentalement meilleur que celui qui a disparu.
– Line Stahl – Première publication : 1992 sous le titre de KataplatzGedechtnis – Traduit de l’allemand par Ledev Warmapehl – 518 p. – 1993 – Succès fulgurant en Allemagne, ce roman a connu une carrière tout aussi étourdissante partout en Europe. Traduit en une douzaine de langues, il fut porté à la scène et à l’écran dans son pays d’origine.