vendredi 6 mai 2022

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Notions après rasage


Dans un hôpital menacé de fermeture, le personnel se retrouve démobilisé devant les tâches qu’il a à accomplir. Dans un effort désespéré pour à tout le moins sauver les apparences devant la clientèle, l’hôpital décide d’installer des appareils d’écoute dans les aires où le personnel est au contact des patients. L’un des rares endroits encore à l’abri des oreilles électroniques est la salle d’opération. Un patient sous sédatif est amené auprès de deux préposés aux bénéficiaires, un homme et une femme, qui doivent procéder à son rasage. Tandis que les deux personnes s’affairent, il devient évident à leur attitude qu’il plane une certaine animosité entre eux. Lorsque le calme revient, on découvre que, sans que leurs collègues ne le sachent, ils sont amants et que leur couple traverse une période assez délicate où les récriminations vont bon train et où les soupçons, même les plus improbables en apparence, sont de mise. Comme le ton monte de plus en plus et que le rasoir, fût-il électrique, est manié de manière assez brusque, le patient sort de sa torpeur et s’adresse, au cours de la discussion, alternativement à l’un et à l’autre afin d’obtenir des éclaircissements. C’est ainsi que, au fil de ce jeu de questions et réponses, on assiste à toute l’histoire amoureuse du couple qui défile ainsi en une sorte de flash-back segmenté et soumis à des éclairages différents selon que l’on a droit à la version de l’homme ou à celle de la femme. Progressivement, le patient commence à porter des jugements et à attribuer les torts à l’un ou à l’autre. Lorsque le patient entre enfin en chirurgie, les deux protagonistes retirent une impression quelque peu irréelle de cette rencontre avec un inconnu qui a officié, le temps d’un rasage, comme l’aurait fait un psychologue. Quelques semaines plus tard, alors que le couple vient tout juste de rentrer du travail, la sonnette se fait entendre et, à son grand étonnement, le couple trouve sur le pas de la porte le patient de l’autre jour. L’intrus réussit à se faire inviter à passer la nuit, mais, évidemment, il s’incruste jusqu’à ce que, un matin, tandis que les deux hommes se font la barbe, le maître des lieux lui demande très civilement de partir. C’est alors que l’intrus explique qu’en échange du gîte et du couvert, il réussira à sauver la relation défaillante où est en train de s’abîmer le couple. Intrigué, l’homme, qui ne désire rien d’autre, se prête au jeu avec l’énergie du désespoir. Il se dessine alors une relation chargée d’érotisme au cours de laquelle ce triangle amoureux explore quantité de fantaisies licencieuses au sortir desquelles l’homme et la femme se retrouvent comme transfigurés. Un matin, alors qu’ils s’éveillent après une nuit de passion en compagnie de leur amant, ils ne trouvent de trace de lui que son rasoir laissé en évidence sur le rebord de l’évier de la salle de bains.


 – Martin Gall – 308 p. – 1990 – Étrange allégorie axée autour du processus de rasage. Avec des accents irréels très marqués, c’est pourtant à une descente dans la banalité de la notion de couple que le lecteur assiste, jusqu’à ce que, sauvé par un érotisme débridé, l’amour resurgisse du gouffre où il s’était abîmé.

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