Faut être poète
Carl est un pharmacien désoeuvré dont la principale occupation, en dehors de son travail, consiste à tromper l’ennui que lui inspire son existence rangée. Père de famille, engoncé dans une relation maritale qui ne lui apporte ni problème ni surprise, il cherche un moyen de retrouver le goût de vivre sans pour autant mettre en péril la solidité monolithique de son mariage. Peu tenté par des aventures d’un soir, il fouille son âme afin de trouver une échappatoire ; une fenêtre par où faire entrer un peu d’oxygène dans sa vie sentant le renfermé. Un après-midi, seul dans son laboratoire après avoir complété sans coup férir un nombre impressionnant de prescriptions qui l’ont laissé encore plus amer que de coutume, il se surprend à recopier dans un total désordre les portions de noms des produits qu’il a si soigneusement emballés. Distraitement d’abord, puis avec de plus en plus d’application, il combine et recombine les mots en des envolées étranges aux sonorités envoûtantes, mais qui demeurent totalement dépourvues de sémantique. Amusé, il glisse ses notes dans le tiroir et les y oublie quelque temps. Alors que la vie suit son cours morne, il revient immanquablement à son carnet dans ses moments libres. Intrigués par ce manège qu’ils finissent par surprendre, sa femme et ses enfants lui signifient leur curiosité. À leur demande, il accepte de leur faire une lecture privée. Devant leurs railleries, il résout de ne plus jamais s’adonner à sa nouvelle passion chez lui, se réservant ce plaisir pour son échoppe. Le carnet vite rempli, il poursuit son travail d’apprenti poète sur des feuilles qu’il range dans son classeur à prescriptions. Or, une journée, il glisse malencontreusement un de ses feuillets dans le sac d’un client. Ce dernier, interloqué par ce document, s’empresse de le rapporter à son médecin, lequel, passionné de poésie, prend contact avec Carl. Les deux hommes, au fil des semaines, nouent rapidement une amitié trouble où l’attirance réciproque qui se développe n’est pas uniquement intellectuelle. Fréquentant désormais les cercles de poésie des environs, ils rédigent ensemble un étrange recueil où les phrases alternent avec les créations du pharmacien dont le style s’affirme au point où le recueil est publié par une grande maison de Montréal. De plus en plus souvent absent tant de chez lui que de son travail, Carl éveille les soupçons de sa femme. Tandis qu’il éprouve beaucoup de difficultés à lui faire comprendre qu’il n’y a pas d’autre femme, il apprend que leur recueil est en nomination pour un prix littéraire. Enivré par un tel succès, Carl est rapidement ramené sur terre par une déclaration amoureuse de son ami médecin.
– Lisette Sauret – 370 p. – 1998 – Ode à la création poétique, cette oeuvre empreinte d’une esthétique séduisante et sulfureuse représente moins une apologie de l’homosexualité qu’une recherche de l’absolu amoureux.
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