Les clairons mal embouchés
Au cours de la Première Guerre mondiale, de jeunes recrues suivent une formation de musiciens militaires. Au fil des semaines, ils doivent se plier à un entraînement particulièrement dur, dont les leçons de musique ne sont pas les moins pénibles. Quelques-uns, possédant déjà des rudiments, prennent plaisir tout au moins aux cours de solfège et au maniement des instruments. Les plus talentueux sont paradoxalement les rares jeunes gens issus des classes populaires. Pour les autres, qui n’ont dû leur assignation qu’à leurs relations, l’apprentissage de la musique auprès d’un capitaine particulièrement intransigeant devient une expérience hautement désagréable. Habitués à leurs privilèges, incapables du moindre effort de concentration, peu habitués à quelque forme de travail que ce soit, les jeunes bourgeois goûtent pour la première fois de leur vie aux avanies que connaissent d’ordinaire les moins fortunés. Les tensions se développent et se cristallisent autour de la rivalité mettant en présence deux des fortes têtes de l’unité : Ladurie, le chef des « boutonnés », surnommé « Bol d’or » par ses camarades à cause de son père, important négociant en or fin pour les bijouteries de la capitale, et « Blitte », fils tardif d’un métallo vétéran de la Commune de Paris, qui, pour sa part, dirige les « guenilles ». Alors que leur formation approche de son terme, on apprend qu’une moitié de l’effectif sera effectivement versée dans les différentes fanfares militaires, tandis que le reste de la troupe sera envoyé aux tranchées. Anticipant l’effet de la nouvelle, le colonel commandant l’académie décide de s’en remettre au volontariat avant de régler la question. Dès lors, le conflit entre les deux groupes, encore relativement larvé, éclate en quelque sorte au grand jour. Les cadets commencent à se vouer une haine féroce d’un groupe à l’autre jusqu’à ce que, un soir de permission, une rixe éclate et que trois cadets, du groupe de Bol d’or, soient emmenés sur une civière. Le scandale frappe alors l’académie de plein fouet et les cadets se retrouvent tous assignés à servir dans les tranchées en guise de punition. Alors que les recrues commencent à recevoir leur barda de guerrier, les hommes de Blitte apprennent que « les parents des gosses de riches » ont fait jouer leurs influences afin d’éviter que leur progéniture ne se retrouve en première ligne. D’abord incrédules, ils sont outrés par l’injustice de la situation alors que les moins doués vont se retrouver versés dans les fanfares. D’un commun accord, et à la suite d’un serment pris en secret et à la lueur des bougies, les « guenilles » s’équipent et, à la baïonnette, massacrent en silence tous leurs camarades pendant leur sommeil. Le lendemain, dans la cour de la caserne, Blitte, au clairon, entonne l’appel aux morts.
– Hubert Allesse – 402 p. – 1988 – Récit noir et dur qui revendique avec force, et ce, au-delà de toutes les contradictions sous-jacentes, les droits les plus élémentaires de la condition humaine. Nulle part ailleurs l’expression « les damnés de la terre » n’aura pris tout son sens.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire