mercredi 12 mai 2010

Tout savoir à l’avance

DIOGÈNE de SINOPE

Aussi appelé le philosophe cynique, Diogène vivait dehors, dans le dénuement, vêtu d'un simple manteau, muni d'un bâton, d'une besace et d'une écuelle. Dénonçant l'artifice des conventions sociales, il préconisait en effet une vie simple, plus proche de la nature, et se contentait d'une grande amphore pour dormir.
***

Cliché intemporel parmi tant d'autres : allongé sur le sable, le légendaire SDF expose au soleil son corps déjà boucané tandis que le maître du monde s'approche de lui, accompagné de sa suite immense et, surplombant dans son éclat divin le clochard tel un nuage, le gratifie de quelques propos flatteurs pour finalement lui déclarer : «.J'exaucerai le moindre de tes désirs ! » Se soulevant de mauvais gré, l'estivant désinvolte bougonne entre ses dents : « Ôtes-toi de mon soleil ! Je ne te demande rien de plus ».

À une seule condition : la réponse ne peut venir que s'il s'est posé
la question.

- Qu'est-ce qui nous intéresse à présent ? se demanda-t-il avec désinvolture.
Il fronça alors les sourcils, agacé par le ton artificiel de sa voix.
Il se secoua comme un chien mouillé, se propulsa du divan et revint dans la salle de bains. Il donna des coups de pied dans les ténèbres, se heurta au vide, actionna au passage les interrupteurs jusqu'au moment où, dans le miroir au-dessus du lavabo, il se retrouva nez à nez avec l'individu qu'il avait le moins envie de voir :
- Salut, gueule de con ! meugla Bezoukladnikov en fourrant sa brosse à dents dans sa bouche. J'en ai marre de toi !
Son regard vindicatif glissa de son menton hirsute à son bas-ventre ensauvagé, en passant par son torse pâle et épais. La brosse hors de la bouche, son interlocuteur nu répondit sans enthousiasme, avec douceur mais détermination :
- Désormais, c'est l'argent qui nous intéresse.












Ijor Sakhnovski
Gallimard, 2010

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