jeudi 5 mars 2015

Le bal des balles

Épisodiquement, un rapport déplorant la méconnaissance de la langue parmi les étudiants de niveau supérieur finit par se frayer un chemin en dehors des canaux officiels. Son arrivée dans l'espace public provoque toujours les mêmes réactions. L'étonnement, d'abord, comme si la chose était totalement inconnue, voire imprévisible, malgré le fait que, jour après jour, cette carence est constatée au sein des institutions d'enseignement.

La déconvenue, ensuite, car cet état de fait est universellement déploré, d'abord et avant tout par ceux-là mêmes qui l'ont provoqué, laissé faire ou encouragé.

Viennent en troisième lieu les engagements divers visant à redresser la situation, surtout auprès des futurs enseignants de la langue française, lesquels, au final, ne sont guère mieux lotis sur le plan de la connaissance linguistique que le reste.

Finalement, la poussière termine sa chute, pas toujours lente, et c'est au tour de l'amnésie d'intervenir, celle qui fige la situation au stade de statu quo jusqu'à la prochaine fuite, permettant à tous les intervenants – au nombre desquels nous comptons nous-mêmes – de regarder ailleurs entre-temps.

Lorsque John George Lambton* avait écrit, en 1839, que les Canadiens français étaient un peuple sans histoire, sans éducation et sans avenir, qu'il convenait d'assujettir à la belle et vigoureuse culture britannique, il n'avait pas tout à fait tort. Il aura fallu attendre que ceux qui sont censés enseigner la langue ne la maîtrisent plus. John George se sera trompé d'époque, tout simplement.

L'ignorance, surtout en matière linguistique, ouvre la voie à l'assimilation en bonne et due forme. Et ce, avec d'autant plus de facilité qu'un usage correct du français est le plus souvent décrié, de nos jours, comme une marque de snobisme ou d'élitisme.

C'est fort tout de même: respecter sa propre culture est devenu répréhensible.

On ne peut parler de suicide car, pour se suicider, il faut se tirer une balle dans la tête. Cela devient impossible dès lors qu'on se l'est déjà tirée dans le pied.


* Également connu sous le charmant sobriquet de lord Durham.

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