mercredi 19 octobre 2022

Catalogue

 


L’acquisition espagnole


En Espagne sous le régime de Franco, une panne d’électricité extrêmement inopportune oblige un magasin à rayons de la capitale à fermer ses portes avant l’heure normale. Cependant, les propriétaires ont oublié quelques personnes sur les lieux. À tâtons, les personnages font leur apparition sur scène tandis qu’ils arrivent au rayon des meubles. Deux d’entre eux, des ouvriers, ont apporté des lampes dont ils se servent normalement dans le cadre de leurs fonctions, alors qu’ils doivent ramper à l’intérieur des chaudières de fonderies afin de les nettoyer. Ce maigre éclairage rassemble une dizaine de personnes de tout acabit : un couple de bourgeois visiblement à l’aise, des grisettes, des fonctionnaires et des ouvriers. N’osant pas retourner s’aventurer dans le magasin en pleine obscurité, ils décident d’attendre au rayon des meubles que finisse la nuit et que le personnel les laisse sortir au matin. Il s’établit alors au sein de ce groupe disparate d’étranges alliances et de non moins surprenants conflits où les amitiés se nouent et se dissolvent à une cadence effrénée. Car, tandis qu’ils tombent d’accord sur la nécessité de rester ensemble jusqu’au lendemain, il n’en va pas aussi facilement lorsqu’il s’agit d’organiser cette nuit improvisée. Si les ouvriers acceptent sans trop de difficulté de partager les reliefs de leur casse-croûte, la bonne entente s’effrite quand vient le temps de se répartir les lits et divans en montre. En effet, la quantité restreinte de mobilier oblige les naufragés de la nuit à trouver des accommodements : certains pourront dormir seuls, mais les autres devront se résoudre à coucher avec un étranger. Devant l’impossible solution, les femmes demandent aux hommes de faire preuve de galanterie, ce qui ne remporte pas davantage l’adhésion. Enfin, les hommes décident de répartir équitablement les lits en deux groupes et de laisser chaque sexe décider pour lui-même de la répartition. Alors que les protagonistes se préparent à dormir, les femmes soulèvent un problème supplémentaire : il n’y a pas assez de draps pour tous. Alors que la solution paraît simple, les ouvriers et les ouvrières s’insurgent contre l’idée de piller le magasin alors que tous peuvent facilement passer une nuit sans draps. Le ton monte jusqu’à ce que la discussion échappe à tout contrôle. L’un des mieux nantis, sous prétexte de clore la discussion en éteignant, renverse malencontreusement une des lampes, entraînant un incendie meurtrier. 


 – Ines Lattre – 166 p. – 1990 – Cette pièce, longtemps frappée d’interdit en Espagne franquiste, se veut une critique décapante des abus de la dictature. Tombée dans l’oubli depuis la mort du Caudillo, elle a été redécouverte dès le début des années 1980 par une nouvelle génération d’Espagnols pour laquelle elle revêt des allures de symbole. Elle a remporté la palme d’or au festival de théâtre de San Felipe.


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