Fiche linguistique numéro 7
Blasé
L'incertitude économique dégénère en morosité ambiante? L'enthousiasme est à son plus faible? C'est ça: nous sommes blasés. «Blasé» est un mot particulièrement étrange. Le verbe blaser trouverait son origine au XVIIe siècle chez les Picards, qui habitent le nord de la France. Il serait d'influence allemande (en allemand: blasen). Les Picards l'employait pour désigner l'usage abusif de boissons fortes au point que les excessifs en soient blêmes ou bouffis. (Bouffis ou gonflés qui font directement référence à «souffler» comme «to blaze», en anglais, autre legs germanique)
De quelles boissons parle-t-on? Ça, on ne le sait pas. Dans «Histoire socialiste de la révolution», Jean Jaurès note combien les liqueurs fortes blasent le palais. Blasent-elles aussi les socialistes? Cela expliquerait peut-être pourquoi de grands financiers (de Bronfman à Rémy Martin en passant par Molson et Heineken) investissent autant dans l'alcool. Le grand complot capitaliste toujours en marche.
Il a fallu attendre un siècle avant que le terme trouve le sens qu'on lui donne généralement aujourd'hui pour qualifier des personnes qui n'éprouvent plus de plaisir à rien. Ça c'est issu du parler français du sud, le provençal. Le mot viendrait, dans ce cas, de «blazir» pour «faire faner». L'écrivain Jules Renard en remet: «Les gens qui se disent blasés n'ont jamais rien éprouvé: la sensibilité ne s'use pas». Bref, la question est: faut-il être blasé comme un Picard ou comme un Provençal?
Tiré du Dictionnaire absurde du vrai français étonnant, 15 678 pages, Montréal, Absurdistan unie, Éditions vacillantes, 875,99$.
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