vendredi 3 juin 2022

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Pluie à Siddes


Dans l’oasis de Siddes à la frontière libyo-égyptienne, il ne pleut qu’une fois l’an, lorsque le vent du désert, à l’approche de l’hiver, cède le pas au vent du nord chargé de l’humidité méditerranéenne. La pluie alors se déchaîne avec une force inouïe et ce déluge dure, selon la coutume, deux jours et deux nuits sans faiblir. Dans les faits, le phénomène météorologique est moins constant. Cependant, une tradition locale veut que si la pluie dure effectivement deux jours et deux nuits exactement, l’année sera bénéfique pour tous les gens étant nés à Siddes, ce qui ne représente qu’une bien faible proportion de sa population. Les ressources limitées de l’endroit forcent la plupart des natifs à s’exiler soit en Libye ou en Égypte. Au début de l’histoire, lorsque la pluie commence à Siddes, elle tombe avec une telle violence que les maisons, la plupart en crépi, commencent à se désagréger. Des fleuves de boue et de limon envahissent les rues et bloquent les pistes. Dès la première journée du déluge, Siddes est coupée du monde extérieur. Saïd, un Lybien, a épousé Maïa, une Égyptienne. Sous la contrainte des éléments déchaînés, les passions s’exacerbent au sein du ménage qui est contraint à un huis clos angoissant. En plus de leurs origines différentes, le couple traverse une grave crise qui a éclaté avec la mort de leur unique enfant au moment de l’accouchement. Désormais stérile, Maïa doit affronter les outrages de son mari qui envisage mal de mourir sans descendance. L’affrontement entre l’homme et la femme connaît un crescendo tandis que cette dernière attend dans l’angoisse l’arrivée de son vieux père qui préfère braver les éléments déchaînés plutôt que de laisser sa fille affronter seule un mari violent. Alors que Saïd et Maïa en sont presque rendus aux coups, on frappe à la porte. Le couple doit se rendre à l’infirmerie de la garnison, le seul hôpital de Siddes, pour retrouver le vieillard à demi noyé qu’un bienfaiteur inconnu a tiré d’une rigole de plusieurs mètres de largeur. Laissée seule avec son père agonisant, Maïa épanche son coeur et lui fait part de tout le désespoir qu’il renferme ; elle le supplie de lui donner la permission de mettre fin à ses jours. Le vieillard refuse de répondre à ses demandes répétées. À la fin, il réclame son gendre auquel Maïa cède la place, ne pouvant plus supporter sa présence. Il s’engage alors un tête-à-tête où le vieil homme demande à Saïd de lui décrire ce que l’absence de postérité représente pour lui. À la fin de ce long monologue, le vieillard veut savoir si Saïd préférerait se retrouver à sa place, à l’article de la mort. Saïd secoue la tête et son beau-père lui explique que, s’il n’avait pas eu d’enfant, il ne serait pas en train de rendre l’âme à ce moment.


 – Gamal Habyé – 692 p. – 1998 – C’est toute la poésie de l’âme arabe qui transparaît dans ce récit d’une poignante simplicité et d’une profonde nostalgie. Les deux derniers chapitres en particulier, alors que la sagesse tutélaire du vieillard confronte successivement les peurs du jeune couple, donnent toute la mesure d’une grande sagesse humaine.

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