Lapouloulof est venu le premier
Pièce de théâtre satirique hautement critique des exactions commises en Europe de l’Est sous la botte du régime soviétique. Dans une république populaire fictive, une réunion se prépare au Politburo, l’instance politique suprême, dans une attente fébrile. Alors que règne une ambiance malsaine qui rappelle aux protagonistes les pires affres des purges staliniennes auxquelles ils ont, pour la plupart, échappé de justesse, et qu’ils évoquent à mots couverts, les principaux responsables politiques, craignant l’ingérence du « grand frère » russe, débattent en sourdine d’accusations de malversations au sein du ministère de l’Agriculture alors que, justement, les récoltes ont été mauvaises. Un certain haut fonctionnaire aurait détourné à son profit des cargaisons entières de blé qu’il aurait vendues à bas prix à une nation étrangère. Le Politburo, afin de régler l’affaire discrètement et avec célérité, a fait courir la rumeur que la police a identifié le coupable. Il a ensuite convoqué à une réunion extraordinaire la dizaine de hauts fonctionnaires ayant pu s’approprier aussi facilement les ressources de l’État, sachant que le responsable, craignant pour sa sécurité, préférera s’enfuir plutôt que d’assister à la réunion, et qu’il se démasquera par la même occasion. À mesure que l’attente leur pèse, les membres du Politburo y vont chacun de ses hypothèses quant au coupable, se contredisant eux-mêmes à mesure que leur imagination prend le dessus. Terrifiés à l’idée que leur plan puisse échouer, ils en viennent à se jeter à la figure les pires accusations d’incompétence et de négligence. Alors que l’heure de la réunion approche et que l’ambiance dans la salle est sur le point de virer à l’hystérie, un planton annonce l’arrivée du camarade Lapouloulof, un des fonctionnaires les plus impopulaires du Ministère, aussi est-il considéré comme le principal suspect. Bien que la majorité soit rassurée quant à l’innocence du camarade Lapouloulof, certains s’acharnent à essayer de démontrer sa culpabilité en le soumettant à un interrogatoire serré où les pires suspicions sont insinuées, mais jamais clairement formulées. Lapouloulof, se défend du mieux qu’il peut, espérant que d’autres membres du Politburo viendront à son secours. Devant leur indifférence, il se mue progressivement en accusateur lui-même, écartant les soupçons et formulant des critiques à l’égard des décideurs du régime, corrompus pour la plupart, cachant sous les honneurs et les décorations des activités moralement et politiquement douteuses. Alors que cette joute verbale épuise les participants, le camarade Lapouloulof remarque à la fin que l’heure de la réunion est déjà passée. Force est de constater qu’il est le seul à s’être présenté et que les autres suspects sont déjà en cavale.
– Elke Renelev – Première publication : 1981 sous le titre Harracho ! – Traduit du russe par Otto Graff – 166 p. – 1988 – Pièce tragique, qui ne se départit jamais pour autant d’un brin d’humour caustique, le succès de cette oeuvre en Occident est certainement dû autant à son esprit critique frondeur qu’à son style anticonformiste.
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