vendredi 28 octobre 2022

Catalogue

 


Le carnet blanc


Pièce à un personnage. Dans un huis clos minimaliste, l’Auteur est le nom du personnage qui s’adresse à un interlocuteur imaginaire, qui peut tout aussi bien être le spectateur lui-même. Il lui raconte la genèse du livre auquel il travaille et dont les feuillets épars couvrent non seulement son bureau, mais aussi la scène tout entière. L’histoire du manuscrit commence avec les premiers balbutiements de l’oeuvre, lorsque l’Auteur a reçu en cadeau un carnet blanc dont il croyait se servir pour y consigner des idées de texte. Mais, sous le coup d’une inspiration subite, il a décidé de se servir du carnet afin d’y élaborer les grandes lignes de sa nouvelle oeuvre. L’Auteur hésite longtemps avant d’expliquer en quoi consiste le manuscrit, ne sachant pas très bien à quel genre il appartient. Tout a commencé au cours d’une conversation téléphonique avec un collègue, où l’Auteur a imaginé de constituer un recueil de titres amusants, pour la plupart des calembours ou des contrepèteries. Ainsi, au hasard des conversations ou à la suite de réflexions personnelles, l’Auteur a glané des titres tirés de la vie quotidienne. Graduellement, l’oeuvre a crû et aux titres s’est ajouté une brève histoire, un résumé, sorte de synopsis, dont la seule fonction était de donner un semblant de crédibilité aux titres dont certains paraissaient hautement improbables. À travers ces ouvrages imaginaires, s’est développée graduellement l’idée qu’ils pourraient faire partie de la collection d’une maison d’édition tout aussi imaginaire. C’est ainsi que l’Auteur, désirant utiliser son manuscrit comme une métaphore, décrit les éléments de l’univers réel, ainsi que les destinées humaines, comme un ensemble de fictions emboîtées les unes dans les autres semblable en cela aux poupées gigognes. L’Auteur, en même temps qu’il entrecoupe la description des histoires de ses réflexions, raconte également la méthode qu’il a employée afin d’élaborer son livre. Il s’est servi de modestes manifestations de la nature humaine afin de leur donner une dimension décuplée, de leur accorder même un sens profond et transcendant, en s’inspirant de leur banalité même. L’Auteur a retenu, pour constituer la matière des publications fictives, des événements et des thèmes populaires ayant la cote au cours des années où la maison d’édition imaginaire aurait été active. Mais, devant l’apparente apathie de son interlocuteur, tout aussi imaginaire que le reste, l’Auteur, afin de susciter une réaction chez celui-ci, entame alors une profonde réflexion sur l’inanité des entreprises humaines et, dans son envolée, aborde le thème de la mort. Sa ferveur est poussée à l’excès lorsque, debout sur son bureau, il semble oublier la précarité de sa position et qu’il vient près de succomber sous sa propre plume.


 – Luc Ratiphe – 134 p. – 1992 – Étrange huis clos où le personnage principal tente d’éclairer les dédales du processus d’écriture, obsédé par son besoin d’originalité et poussé par le désir de création, ce dernier ne prenant son sens que confronté à la notion de destruction.


Aucun commentaire: