Le grand méchant clou
Au lendemain de la guerre, Olga attend avec impatience le retour de son fiancé du front. Le jeune homme est accueilli comme un héros pour ses preuves de courage, en particulier lors du siège de Stalingrad. Au lendemain des noces, elle s’installe dans la maison de sa belle-famille, l’une des rares demeures de la petite ville qui n’ait pas trop souffert des combats. Cependant, dès les premières semaines, Olga éprouve des difficultés à s’adapter à la vie au sein du clan. En effet, les habitudes de maison et les rapports entre les membres de sa belle-famille la laissent perplexe, et son mari, alcoolique et désillusionné, ne lui est d’aucun soutien. Au contraire, ce dernier, accroché à sa gloire passée, n’arrive pas à se réinsérer dans la vie civile, que ce soit à l’usine ou dans sa propre famille, constamment obsédé par les horreurs de la guerre, celles qu’il a vues ou celles qu’il a commises. Cependant, le reliquat de quatre ans d’un conflit particulièrement acerbe se fait cruellement sentir. Les années qui suivent sont toutes marquées par l’un ou l’autre deuil, alors que les souffrances endurées pendant la guerre ont affaibli tant les uns que les autres. Que ce soit au sein de sa propre famille ou dans celle de son mari, Olga note avec amertume que « les années qui ont suivi la guerre n’ont été qu’une suite de visites au cimetière ». Son besoin d’amitié, d’ailleurs, se trouve graduellement comblé par la présence d’un vieux fossoyeur qui, au fur et à mesure que le temps passe, arrive à la consoler de ses nombreux deuils grâce à une sagesse forgée à même la plus profonde souffrance. Entre-temps, Olga se retrouve seule à vivre avec son mari et l’acariâtre grand-mère qui n’a cessé, toutes ces années, de mener la grande maison d’une main de fer. À mesure que les décès créent des vides dans la famille, celle-ci s’en prend de plus en plus à Olga. Lorsque son mari meurt, la jeune femme, qui constate avec indifférence qu’elle a démesurément vieilli pour son âge, se retrouve seule avec l’aïeule sans cesse plus exigeante. La tension s’exacerbe entre les deux générations sur les choses touchant la cuisine. Le conflit latent se cristallise soudain lorsque Olga décide de cesser d’utiliser le clou de girofle dans la préparation des plats. Désormais, cette épice, la seule relativement facile à trouver sur le marché de l’après-guerre, devient le brandon de discorde qui alimente le conflit entre les deux femmes. L’animosité gagne tous les aspects de leur vie alors qu’elles tentent le plus possible de s’éviter tout en gagnant les voisines à leur cause respective. L’impotence qui la gagne rend la grand-mère encore plus ombrageuse, tandis que l’on apprend à la radio la mort du camarade Staline.
– Raïssa Rauberboult – 634 p. – 1992 – Lucide aperçu de ce que Churchill avait appelé « le grand mystère », c’est-à-dire l’état véritable de l’URSS au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
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