Le verre des gris
Pièce de théâtre primée en 1987 au festival de Sopòt. Dans un bar, prétendument au centre-ville d’une métropole nord-américaine, commence à se masser la foule des habitués de la fermeture des bureaux. À part quelques prostituées dont la présence ne sert que de toile de fond, tous les clients accoudés au bar sont des hommes. En outre, ces derniers, sans exception, portent un complet gris à peu près de la même coupe, ainsi que les inévitables mallettes ne servant jamais qu’à traîner le casse-croûte que leur a préparé leur femme. Le premier acte voit s’installer une atmosphère morne alors que, avec des sons feutrés, les protagonistes échangent entre eux sous l’oeil blasé d’un barman effacé et silencieux. Ils radotent, avec la morne indifférence de l’habitude, les mêmes platitudes entre eux, avec quelques variantes, et qui charrient le discours empesé de la langue de bois triomphaliste et individualiste des années 1980. Cette avalanche de clichés finit par créer une ambiance à la fois surréaliste et absurde. Alors que les buveurs se taisent les uns après les autres, à court de phrases toutes faites et d’imagination, le silence s’installe progressivement. C’est alors, juste comme le premier acte prend fin, que fait irruption dans l’estaminet un inconnu simplement vêtu d’un t-shirt et d’un jean, et qui retient immanquablement l’attention générale. Le second acte s’ébauche à l’inverse du premier, alors que l’inconnu, dont le nom ne sera jamais révélé, essaie avec un succès mitigé de lier conversation. Ses tentatives, si elles ne sont pas découragées, au début, achoppent très rapidement, car les sujets divergents font que les échanges sombrent rapidement dans un dialogue de sourds, surtout à partir du moment où l’inconnu se présente comme un poète et que les autres buveurs veulent lui faire dire quel est son « véritable » métier. Le troisième acte commence tandis que le bar se vide au point où il ne reste plus que trois personnages avec l’inconnu. Les hommes d’affaires éméchés laissent libre cours à leurs frustrations et révèlent peu à peu leur part de rêves brisés. Incapables de supporter la vue de celui qui a suivi les siens contre vents et marées, ils deviennent de plus en plus agressifs à son endroit, menaçant même de lui faire un mauvais sort avec un couteau. L’inconnu en est quitte pour un uppercut au visage avant que d’être vidé à coups de pied. Le barman, muet jusqu’alors, intervient pour calmer les exaltés et remettre à chacun un sachet de poudre blanche. Tandis qu’il compte sa caisse, les derniers buveurs achèvent de mettre de l’ordre à leur mise avant d’aller affronter leur épouse. Il leur adresse à chacun un « à demain » indifférent.
– Elvira Touvan – 118 p. – 1989 – Propos issu du choc terrible entre le rêve et la réalité, cette pièce a suscité des réactions diverses à sa première. Qualifiée de Hernani moderne, elle a effectivement provoqué des rixes à Athènes et à Oslo.
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