L’emprunt digital
Marx mentionnait la notion de mondialisation des marchés dans le Capital, ouvrage marquant paru en 1871. Cette conception de la mondialisation des marchés était fondée sur l’accès des puissances industrielles (l’Europe occidentale, les États-Unis et, dans une moindre mesure à cette époque, le Japon) à des débouchés commerciaux. Ce qui a changé au cours des dernières décennies est la rencontre du capitalisme, axé sur le secteur tertiaire au sein des puissances industrielles, et des nouvelles technologies de communication. Il est faux, selon l’auteur, de prétendre que les échanges commerciaux ont connu une mutation profonde au cours des dernières années. Avant que les technologies de transport n’arrivent à déplacer, de façon économique, les produits d’un continent à l’autre, et ce, en quelques instants, les échanges commerciaux resteront à peu près ce qu’ils étaient à l’époque de la machine à vapeur. Ce qui a connu une profonde mutation en l’espace d’une génération, et que l’on a abusivement étiqueté « mondialisation des marchés », est un processus tout autre. Il ne s’agit pas des produits du capitalisme, mais bien du capital lui-même qui s’est mondialisé. Ainsi, la numérisation des données financières et, partant, de l’argent lui-même, a entraîné deux conséquences majeures pour le monde économique, mais aussi politique. D’une part, l’argent s’est dématérialisé, et en conséquence il n’est plus important aujourd’hui de savoir qui possède physiquement l’argent. Ce qui importe désormais dans le rapport de force mondial est de détenir le contrôle sur les réseaux par lesquels sont acheminées les informations. Sur ce chapitre, les États-Unis, qui ne possèdent même plus la meilleure base industrielle, gardent malgré cela l’avantage. D’autre part, l’argent a vu sa temporalité affectée lorsqu’il a fait le saut dans le cyberespace. Autrefois prisée pour son incorruptibilité sous forme d’or, la valeur-argent est devenue extrêmement éphémère depuis qu’elle a la possibilité de se déplacer à la vitesse de la lumière. Ce phénomène récent entraîne des conséquences très graves pour les nations en voie de développement dont les visées politiques peuvent ne pas correspondre avec celles de la « réseaucratie ». Maintenant que les économies nationales peuvent voir le tapis financier leur être tiré sous les pieds en quelques secondes, le contrôle exercé par les pays industrialisés s’est transformé en mainmise politique quasi absolue. Par le fait même, l’endettement des économies nationales est devenu le meilleur moyen de s’assurer une coopération politique totale et absolue de la part du Tiers-Monde.
– Paul Laintaire – 440 p. – 1993 – Autrefois journaliste à Antenne 2, l’auteur s’est rapidement impliqué, à la suite de ses nombreux reportages à saveur économique, sur la scène politique nationale et transnationale. Professeur d’économie à Paris V, il est devenu depuis une figure marquante de la remise en question du nouvel ordre mondial.
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