mercredi 6 juillet 2022

Catalogue

 


Tuez-les tous


Audacieux roman tentant d’explorer, par une illustration sans complaisance, les tréfonds de l’âme humaine. Georg Hoffman est le commandant d’un camp d’extermination, qu’il surnomme « la Boîte ». Bien vu de ses supérieurs, il partage son temps entre ses tâches, consistant dans les faits à faire disparaître des familles entières, et sa vie privée auprès de sa femme et de ses deux filles. On le suit au jour le jour alors qu’il inspecte ses installations, depuis les baraques d’admission jusqu’aux fosses où sont déversées les cendres des personnes massacrées dans les chambres à gaz. Parfait exécutant, il règle l’organisation de la vie du camp en fonction des règlements et des directives qui lui parviennent de Berlin. Tout aussi intraitable envers ses subordonnés qu’il l’est envers les prisonniers, il s’active consciencieusement en évacuant toute émotivité et tout sentimentalisme de son travail. Son seul ami, avec lequel il éprouve nombre d’affinités, est le comptable Dorff, un civil appartenant à la SS, dont les comptes constituent la finalité des activités du camp, en particulier les biens arrachés aux victimes juste avant qu’elles ne passent dans les chambres à gaz : les bijoux, les fourrures et les objets personnels ayant une certaine valeur. Hoffman passe ses moments de loisir en jouant aux échecs avec Dorff, le soir, alors que le camp est enveloppé d’un silence de mort en attendant la tuerie du lendemain. Ces soirées permettent alors à Hoffman des moments d’introspection que l’évocation de ses victimes n’arrive pas à troubler. De même, pendant ses jours de congé qu’il consacre à sa famille, il troque l’uniforme pour le complet et se dévoue à ses filles et à leurs études de musique. Un jour, sa cadette lui demande une faveur pour la récompenser d’un excellent bulletin scolaire : elle veut aller avec lui à son travail. Hoffman hésite, tergiverse d’une occasion à la suivante, tentant d’expliquer à l’enfant pourquoi elle n’a pas de place au camp, tout en tentant de lui cacher la nature de ce qui s’y passe. À la fin, de guerre lasse, il lui explique que le camp est un endroit extrêmement dangereux, surtout pour les enfants, car ils y meurent presque tous. Sa fille lui explique, avec une redoutable lucidité, que seuls les enfants de Juifs y meurent et que les « vrais » enfants y sont en sécurité plus que n’importe où ailleurs. Vaincu par la justesse de ce point de vue, et soulagé que sa fille ne l’ait pas mal jugé, Hoffman l’emmène avec lui contre l’avis de sa femme. Lorsque cette dernière se présente à la porte du camp avec leur fille aînée, il comprend que sa réticence provenait de ce qu’elle acceptait mal que leur père ne traite pas ses enfants avec la même rigoureuse équité que celle qu'il déploie quand il dirige « la Boîte ».


 – Laurent Bassain – 416 p. – 1990 – Cette oeuvre extrêmement dure a été longtemps refusée par les éditeurs des deux côtés de l’Atlantique à cause de son caractère tendancieux. De l’aveu de l’auteur lui-même, elle cherche d’abord et avant tout à choquer le lecteur afin de lui faire prendre conscience de sa propre indifférence devant les horreurs dont l’humanité est capable.

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