mercredi 3 août 2022

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Ce pût été un péché


Philologue et linguiste de renommée internationale, Guillaume Röhn a consacré sa vie à l’étude des textes sacrés judéo-chrétiens. Érudit et polémiste, son champ d’intervention a depuis longtemps débordé le cadre universitaire. Il y a quelques années, ses travaux se sont déplacés du domaine de l’écrit à celui de la philosophie alors qu’il mène avec humour et compassion une recherche sur la morale contemporaine. S’inspirant de son domaine de prédilection, il nous donne aujourd’hui un essai où il met en parallèle les fautes de grammaire et les fautes de comportement. Ses conclusions troublantes révèlent que, au Québec tout au moins, plus ça change et plus c’est pareil. Le monde de l’écrit est régi par des règles strictes qui, en principe, ne sont jamais volontairement transgressées. Par contre, comme tout ensemble de règles, le commun des mortels n’assimile des principes grammaticaux que la fraction qui lui permet d’employer la langue écrite de manière strictement fonctionnelle. Dans ce domaine, des experts, grammairiens, linguistes ou autres se chargent, lorsque la chose est nécessaire, de corriger les erreurs, les « fautes », et de rendre aux textes une pureté académique. Il en va de même de la morale et des comportements sociaux. À cet effet, l’auteur prend exemple sur les deux volets de la société québécoise du vingtième siècle : le volet traditionnel et le volet laïque. Le volet traditionnel, tout entier imbibé de dogme religieux était en fait gouverné par la notion de péché. Essentiellement, ce qui n’était pas péché – un nombre étonnamment restreint de comportements – constituait la norme acceptable. Or, comme la morale chrétienne pouvait essentiellement trouver à redire à presque tout, cela donnait, en plus des autres pouvoirs (moral, politique, économique, etc.) de l’Église, le pouvoir d’absolution. Sans doute, selon Röhn, le plus important de tous. Le pouvoir d’absolution reposait évidemment sur le processus de pénitence qui « nettoyait l’âme de la tache du péché ». Le changement de société qui transforme le Québec à l’aube des années 1960 entraîne des bouleversements de valeurs qui culminent avec l’arrivée de l’ultracorrection au cours des années 1980. Si la notion de péché est alors plus que jamais raillée comme un concept suranné, il s’installe dans le paysage moral de la société une batterie de normes comportementales tout aussi astreignantes que celles qui existaient avant 1960. Cependant, tandis que la notion d’absolution était pratiquement acquise dans la conception traditionnelle de la société, cette notion est conditionnelle et aléatoire aujourd’hui. 


 – Guillaume Röhn – 556 p. – 1988 – Étrange voyage à travers un réseau de réalités en apparence déconnectées et pourtant convergentes. Morale et grammaire, faute et absolution, correction et ultracorrection ne sont plus que des facettes du même tout.


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