lundi 1 août 2022

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Boulot noir


Nulle transformation socio-économique en Occident ne s’est plus clairement affirmée que le passage vers l’économie tertiaire. Au Québec en particulier, les mutations économiques se sont opérées à un rythme accéléré, étant donné son industrialisation relativement tardive par rapport au reste du continent nord-américain. Faut-il trouver là l’explication du phénomène que l’auteure a baptisé le « boulot noir » ? Quoi qu’il en soit, le rapport de l’employé québécois par rapport à son travail a pris une tournure particulièrement dysfonctionnelle dans le contexte actuel, et menace d’effriter non seulement la confiance que le travailleur entretien vis-à-vis son gagne-pain, mais également envers son avenir. Le travailleur québécois est donc en majorité, à cause de l’évolution de l’économie vers le secteur tertiaire, un col blanc. Or, de plus en plus, et en particulier dans les administrations privées, le travailleur est appelé à dépasser les exigences du poste qu’il occupe. Il ne suffit plus – et de loin – de faire son travail. Il ne suffit pas davantage de le faire bien et consciencieusement, comme le voulaient les anciens slogans appelant tout un chacun à l’excellence. Désormais, le travailleur, qu’il soit simple employé ou cadre, se doit d’aimer son travail. En effet, on constate que le tableau du boulot se noircit sans cesse d’exigences de plus en plus nombreuses, et de plus en plus irréalisables. Étant donné que la société a fait du travail l’une des marques de statut social, ce dernier se permet désormais d’exiger du travailleur un attachement omnipotent et sans faille, toujours plus astreignant. Or, cet amour inconditionnel de son travail, que d’aucuns ont affublé, à tort, du nom de « professionnalisme » devient progressivement dans les organisations modernes la finalité absolue. En quelque sorte, l’amour du travail transcende la finalité de la tâche. Les statistiques en Occident sont révélatrices là-dessus ; à mesure que les indices de professionnalisme et de l’atteinte de l’excellence augmentent, la productivité baisse en proportion. En définitive, l’amour du travail rend son accomplissement accessoire ! Il faut donc démontrer clairement et sans ambages l’amour que l’on éprouve envers son travail. Seul un zèle de tous les instants constitue une preuve suffisante de cet état d’esprit. Cependant, cette situation généralisée entraîne des conséquences qui présentent des dangers sur le plan psychologique. En effet, l’amour du travail, et surtout ses contraintes, exige une capitulation de l’ego individuel. 


 – Céline Irénée – 284 p. – 1993 – Professeure à l’Université du Québec, l’auteure dirige également la Chaire d’écologie du travail subventionnée par BBE inc., ICM Canada ltée, ATTT inc. et MKDO. Cet essai est le premier qu’elle publie et il s’avère un brillant succès de librairie.

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