Le coût du lapin
Dans le sud de la France au début du siècle, deux familles paysannes dont les terres sont contiguës se détestent mutuellement. Cependant, à travers ce mur de haine irréfléchie, se sont tissés, à chaque génération, tout un réseau de contacts, parfois indirects, entre les membres des deux familles. Les fils cadets, voulant passer outre aux haines ancestrales, songent à réunir leurs terres afin de créer un grand empire de culture maraîchère. De même, l’un des fils aînés a sauvé la vie à son vis-à-vis pendant la guerre. Quant aux femmes, elles ont établi des liens qui ont transcendé les générations et qui, s’ils sont plus discrets, sont encore plus solides. Cependant, en dépit de ce qui les unit, les deux familles, peut-être davantage par tradition que pour tout autre motif, donnent le spectacle d’un affrontement permanent et sans pitié. Mais cet affrontement, qui nourrit d’une joie morbide la région environnante, risque d’en arriver à une conclusion inattendue. En effet, l’une des deux familles, la moins fortunée, composée d’éleveurs de lapins depuis au moins quatre générations, est tombée dans une dèche sévère. Afin de relancer l’exploitation familiale, il lui faut trouver de l’argent. Mais les prêteurs se font rares, car la situation de conflit endémique laisse présager le pire aux banquiers et autres financiers quant à leur capital. Désespérée, la famille ne sait vers où se tourner quand, soudain, un prêteur anonyme, par le biais du notaire, leur annonce qu’il est prêt à leur avancer l’argent nécessaire. À leur insu, ce mystérieux prêteur n’est autre que le patriarche du clan rival, importants cultivateurs maraîchers. Contre l’avis des siens, qui éprouvent quelque scrupule à se débarrasser de si bons ennemis, il accepte de détenir la dette. Mais, tandis qu’il voudrait rester dans l’anonymat jusqu’au bout, le notaire lui fait savoir qu’il devra à tout le moins assister à la signature du contrat, ne serait-ce que pour y apposer son nom. Ce pieux mensonge de la part de l’homme de loi n’est que la manifestation de la tendance montante au sein du village de voir cesser les hostilités entre les familles, espérant ainsi que, mis en face l’un de l’autre, les chefs des clans accepteront, pour le bien commun, de mettre leur haine de côté une bonne fois pour toutes. Mais la signature du contrat ne se déroule pas comme prévu, bien au contraire. Si le vieux préteur se montre narquois à l’égard de son futur débiteur, ce n’est pas son attitude qui marque la rupture. La fierté des démunis se trouve chatouillée à l’idée de devoir quoi que ce soit à des ennemis de toujours. Aussi, renonçant à cette ultime planche de salut, le chef de famille lâche tout son élevage de lapins dans le champ de ses voisins. Ce geste de désespoir aura des conséquences tragiques.
– Victor Boillot – 388 p. – 1991 – Écrivain de la tradition, l’auteur descend d’une vieille famille du terroir. Successeur indiscutable de Pagnol et de Giono, il sait rendre dans son écriture toutes les nuances de couleur et de chaleur de la terre dont les seuls véritables engrais sont la sueur, les larmes et le sang.
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