vendredi 11 novembre 2022

Catalogue

 


Il n’y a rien de plus trompeur qu’une bonne perspective


Pièce de théâtre ayant le monde de la peinture comme toile de fond. Bien qu’elle regorge de mots d’esprit, elle n’en recèle pas moins une vision douce-amère sur l’art en général, et surtout nos propres critères, bien souvent assez superficiels, pour déterminer ce qui est art et ce qui ne l’est pas. Trois critiques se retrouvent, après un vernissage, chez l’un d’eux. Ils attendent l’arrivée du peintre dont c’était l’une des nombreuses inaugurations et qui s’est fait tirer l’oreille avant de leur promettre de passer les voir. Tandis qu’ils se font patienter avec force rafraîchissements, les trois compères commencent à échanger leurs commentaires au sujet de l’exposition à laquelle ils ont assisté. Ils défilent alors les remarques les plus biscornues au sujet de l’oeuvre du maître, sans se priver pour l’écorcher maintes fois au passage. La conversation dérape vers des sphères un peu plus générales et, progressivement, ce sont à peu près tous les grands maîtres du XXe siècle qui se font prendre à partie par les trois lurons. Ceux-ci font le procès de l’art contemporain et finissent, après quantité de circonvolutions, pour s’entendre sur un fait incontournable: que peu des grands peintres connus ne pourraient espérer être appréciés en cette fin de XXe siècle. Les goûts non seulement des critiques, mais aussi du « public » acheteur, ayant tellement changé, et changeant à un rythme toujours accru, que les oeuvres les plus prenantes des Picasso, Miro, Chagall ou Modigliani se verraient totalement ignorées par les connaisseurs. Alors qu’ils achèvent de cracher leur venin, le maître tant attendu fait enfin son entrée. Les trois compères multiplient devant lui courbettes et marques d’égard, d’autant plus que le personnage, exubérant tel qu’il convient, est accompagné d’une plantureuse jeune femme. La soirée s’engage maladroitement, alors que l’abus d’alcool semble avoir porté les trois hommes à commettre gaffe sur gaffe, tandis que, chez le maître, les effluves éthyliques ne font qu’exacerber son agressivité naturelle. Les critiques, lors d’apartés avec leur prétendue idole, tentent de diminuer leurs collègues à ses yeux. Parallèlement, les trois compères, tour à tour, tentent de séduire la jeune femme qui ne leur manifeste qu’une attention distraite. Elle se contente de leur faire répéter ce qu’ils pensent des oeuvres du peintre. Alors que le ton monte entre les trois hommes et que l’atmosphère se gâte dans le loft, le peintre tente d’échapper à l’hospitalité de ses encombrants admirateurs. Après plusieurs tentatives, il réussit enfin à gagner la sortie, mais un incident totalement imprévisible fait éclater la vérité aux yeux des critiques médusés et incrédules. C’est alors qu’ils apprennent que le peintre n’a jamais eu le moindre talent et qu’il se contente de faire barbouiller des toiles par ses maîtresses de passage, et d’en empocher les juteuses prébendes.


 – Marie Gendar – 120 p. – 1992 – Savoureux bonbon où la verdeur de langage ne nuit aucunement à l’éclosion d’un style fleuri à la justesse irréprochable. Véritable recueil du bon mot, il s’agit moins d’une pièce de théâtre que d’une pièce d’anthologie.


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