jeudi 14 mai 2009
Papier accu(mulé)
[Cette histoire se déroule à la Caisse de dépôt et placement, à l’un des étages de la haute direction.]
Un homme dont la stature replète camoufle sa jeunesse pas encore toute enfuie fait irruption dans un vaste bureau. À la large fenêtre donnant sur la place en contrebas, un autre ventripotent à l’âge pas tout à fait mûr et dont la nuque déborde sur un col à la blancheur immaculée.
Celui qui vient de faire irruption toussote discrètement. Au bout d’un instant, l’autre, sans se retourner, lui donne la parole d’un grognement.
— Désolé de te déranger, chef. Mais j’ai de mauvaises nouvelles au sujet du papier commercial.
— Des mauvaises nouvelles, Achepé?
— On vient d’apprendre que tout le PCAA qu’on vient d’acheter ne vaut pratiquement rien; il ne repose sur aucune garantie…
— Et alors, Achepé?
— Qu’est-ce qu’on doit faire?
— Achetez, Achepé.
— Tu veux dire «vendre», chef.
Sans se retourner, le chef secoue lentement la tête.
— Mais non. Achetez-en d’autre. Le plus que vous pouvez.
— Mais chef, objecte, mal à son aise, le dénommé Achepé.
— Voyons, Achepé… Faux-tu que je te donne une leçon d’économie 101? demande le chef, irrité. C’est la loi de l’offre et de la demande: plus la demande est forte, plus la valeur augmente. Si on en achète assez, ça vaudra quelque chose.
— Oh, wow, chef! T’es le plus fort!
— Je sais, Achepé. Va acheter.
Avant de se retirer, Achepé a une seconde d’hésitation.
— Je voulais te demander… Comment on fait pour être chef, chef?
Sans se retourner, le chef, toujours hypnotisé par ce qu’il observe sur la place, répond d’une voix sourde.
— Garder l’esprit ouvert pour avoir des idées, Achepé.
Une fois laissé seul, il marmonne dans la fenêtre, sans pouvoir détacher son regard de ce qu’il contemple tout en bas: «Stie que c’est laid ç’te sculpture-là.»
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