mercredi 6 avril 2022

Catalogue

 


Libérez ces corps sublimes de toutes ces têtes qui les pourrissent


Atabek est un vizir d’une compétence douteuse, mais mû par une ambition sans bornes et un orgueil démesuré. Pratiquement dépourvu de scrupules, il a été poussé dans ses fonctions par une coterie de seigneurs jaloux. Ensemble, ils rendent responsable le calife, dont ils souhaitent se défaire, des maux qui affligent le pays. Leur travail de sape finit par porter fruit lorsqu’une série de mauvaises récoltes servent de déclencheur à une révolte qui échappe très rapidement au contrôle de ceux-là mêmes qui l’avaient si ardemment souhaitée. Débordé par l’étendue de la colère populaire, Atabek réagit avec toute la maladresse dont il est capable. Qu’il s’agisse des responsables de la révolte, de pauvres exécutants ou même de malheureux simplement soupçonnés d’avoir manifesté une vague sympathie pour les révoltés, tous sentent s’abattre sur eux la colère vengeresse du vizir qui mène tambour battant, et pendant des jours, une succession de décapitation sur la place centrale de la capitale, devant la grande mosquée dont les abords sont maintenant rougis par le sang des victimes. Cependant, alors que la boucherie se poursuit sans faiblir, Atabek commence à être rongé par un doute. Formé par de patients maîtres, dont il a bien peu retenu, il se souvient cependant à quel point ces vénérables enseignants avaient tenté de lui inculquer le respect de l’être humain, accomplissement suprême du Créateur et vecteur du souffle divin. Ayant été gagné par cette forme d’humanisme, il se prend à s’interroger sur le bien-fondé de ses décisions tandis que ses mauvais conseillers tentent de noyer ses remords naissants par des fêtes où les convives s’adonnent à des rites orgiaques. Incapable de justifier ses actes, il ne trouve plus que la personne du calife afin de demander conseil. Jour après jour, le calife le reçoit au cours de brèves audiences afin que les deux hommes puissent deviser agréablement. Il amène lentement le vizir à comprendre toute la valeur de l’être humain, comparant son état premier, l’enfance, à une espèce de pureté originelle comme on ne peut véritablement en retrouver que dans des pierres précieuses. L’impureté se loge dans l’humain quand sa conscience s’éveille au monde. Dès lors, si le corps de l’humain reste toujours pur, il est menacé de corruption par la tête, aussi est-il juste et bon de décapiter ceux qui mettent en péril le royaume. Plus que jamais convaincu de la justesse de ses actes, Atabek durcit encore sa répression. Un jour, tandis qu’il préside une cérémonie publique, il est pris à partie par une bande d’exaltés qui immobilisent ses gardes et lui tranchent les deux mains avant de le décapiter à son tour sous les acclamations de la foule. Les assassins s’enfuient par les ruelles et, une fois en sécurité, lorsque le meneur retire le capuchon de sa djellaba, on reconnaît à sa cicatrice le chef des gardes du calife.


 – Laurent Bassin – 416 p. – 1994 – Délaissant en une rare occasion le roman historique, l’auteur s’adonne ici à une oeuvre de « philosophie-fiction » où, imaginant un royaume fictif, il réinvente le genre créé par Saint-Exupéry dans son chef-d’oeuvre Citadelle.

Aucun commentaire: