mercredi 30 novembre 2022

Catalogue

 


Le soldat Nuel


Cette pièce de théâtre a été écrite dans le plus pur style de Ionesco. Cependant, l’auteur tient à se dissocier de la démarche du maître en imposant un style d’écriture hautement personnel, même si le propos, fortement teinté d’absurde, peut évoquer chez certains d’autres oeuvres théâtrales du répertoire. Il s’agit d’une pièce à trois personnages, dont un seul possède un nom, le soldat Nuel (calembour avec « solde annuel », dont l’évocation revient constamment tout au long de la pièce). En plus du soldat, l’auteur met en scène le supérieur et la fiancée. Au lever du rideau, le soldat Nuel, au garde-à-vous, semble faire rapport à son supérieur, un homme qui, autant par son habillement que par son attitude, représente la forme la plus anonyme du bureaucrate. Le premier acte se limite à cette interaction extrêmement sobre, alors que Nuel garde tout du long la même posture, et qu’un dialogue nébuleux s’installe tant les deux personnages s’ingénient à tourner autour du pot en évitant de mentionner l’objet de leurs délibérations. Pendant cette conversation, le soldat Nuel semble extrêmement réticent à obéir à un ordre « qui vient d’en haut ». Le supérieur, quant à lui, utilise tous les clichés connus, et quelques arguments bien de son cru, afin de venir à bout de l’hésitation du soldat Nuel, dont la conviction s’effrite devant ces assauts tous plus rationnels les uns que les autres. À tout propos, l’argument, qui revient comme un leitmotiv obsédant, est toujours : « Sinon, qu’adviendra-t-il du solde annuel ? » Le second acte ne met en scène que le supérieur et la fiancée, laquelle vient lui demander des comptes au sujet du peu d’empressement de son fiancé, visiblement le soldat, à lui faire une demande en mariage à bon terme. Si la jeune femme est littéralement obsédée par l’idée du mariage, ses motivations sont tout sauf sentimentales. Elle passe en revue avec le supérieur les avantages économiques, fiscaux et budgétaires en ramenant elle aussi constamment sur le tapis la question du solde annuel. Devant le manque de conviction du soldat Nuel, le supérieur, « pour les besoins de la cause », décide froidement de tomber amoureux de la jeune femme. Le chassé-croisé auquel est consacré le troisième acte ne sert qu’à tenter de susciter la jalousie du soldat, mais en vain semble-t-il, jusqu’à ce que le supérieur et la fiancée décident de laisser croire à Nuel que la jeune femme a hérité d’une forte somme. La tentative ayant réussi, le soldat et sa fiancée sont mariés par le supérieur qui, en guise d’union, leur fait signer un contrat. L’épilogue de la pièce met en scène le soldat et son épouse qui se présentent au supérieur afin de lui vendre leur enfant qu’ils transportent dans un coffre à outils.


 – Héléne Nisay – 122 p. – 1990 – Pièce dure et froide sur l’omnipotence de l’argent et de son pouvoir dans les sociétés contemporaines où toute considération est ramenée essentiellement aux sempiternels « profits et pertes ».


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