mercredi 26 janvier 2022

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L’émule du pape


Au cours des premières années de la Réforme, un jeune évêque, issu d’une famille de patriciens romains, est nommé cardinal. Désormais un habitué de la cour vaticane, il croise régulièrement le pape qui se prend d’affection pour ce tout jeune prince de l’Église. En retour, le cardinal di Benedetto développe une admiration sans bornes pour ce personnage qu’il appelle très bientôt dans les lettres qu’il lui adresse chaque jour, « mon très cher et bien-aimé deuxième père ». Une telle dévotion, bien qu’elle suscite quelque jalousie auprès des intrigants et des moins bien en vue, lui attire tout de même la faveur de l’entourage immédiat de Sa Sainteté qui, en ces temps difficiles que traverse l’Église, cherche à affermir le pouvoir moral de cette dernière dans les régions où son autorité est de plus en plus contestée. C’est donc avec bonheur que l’on accueille à l’intérieur du cercle des intimes un jeune homme au talent qui, quoique limité en certains domaines, les finances tout particulièrement, soit totalement dédié à l’autorité vaticane. Di Benedetto est rapidement mis à contribution et, au fil des ans, se voit confier des missions de plus en plus délicates, d’abord auprès des communautés qui vacillent et hésitent à tomber dans le camp de la Réforme, ensuite auprès des groupes contre lesquels l’autorité papale se déchaîne, soit sous la forme de tribunaux inquisitoriaux ou carrément d’expéditions punitives menées à la tête d’armées de mercenaires suisses. Internonce avant la lettre, il bénéficie d’un prestige et d’un pouvoir que lui envient bien des monarques de la chrétienté. Malgré les honneurs qui affluent vers lui, di Benedetto n’a toujours pas renié la profonde admiration, pratiquement le culte, qu’il voue à son idole. Imperceptiblement, cependant, cette ferveur débridée dérape. Au début prenant la forme d’une imitation vestimentaire, elle se transforme en un mimétisme de plus en plus embarrassant à mesure que di Benedetto adopte et intègre tous les comportements et affectations de Sa Sainteté. Au cours d’une ambassade auprès d’un souverain, il commet un impair de taille en affirmant devant la cour rassemblée qu’il est lui-même le pape, ordonnant au roi de se plier à l’autorité de Dieu. Le scandale est tel qu’il est rappelé d’urgence à Rome, terminant en fiasco son ambassade. De retour au Vatican, il est sommé de se rétracter, mais la maladie l’a gagné entièrement. D’abord devant un conseil restreint du saint collège, puis devant un tribunal de l’Inquisition, il réaffirme être le seul et unique pape. L’Église, déjà assiégée par la Réforme, craint plus que tout un nouveau schisme. Elle n’a plus d’autre choix que de sommer di Benedetto de se rétracter. Devant le refus de ce dernier, elle le condamne au bûcher où il montera le 6 mai 1538.


 – Henri Tournel – 520 p. – 1988 – Passé maître dans le roman historique, Henri Tournel nous offre ici moins une histoire qu’une époque. Ce n’est plus tout à fait un roman qu’il nous présente comme un véritable documentaire d’où transpirent à la fois la chaleur et les couleurs d’un siècle passé.

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