vendredi 28 janvier 2022

Catalogue

 

L’espoir du mort


Ambroise est entrepreneur en pompes funèbres et il s’apprête à vivre une cruelle ironie de l’existence, car, arrivé au déclin, il envisage maintenant de connaître ce qu’il a fait subir à tant d’autres avant lui. S’il perçoit l’ultime échéance que connaissent tous les humains avec angoisse, il ne s’agit pas de la même appréhension que celle qui assaille ses semblables. Ambroise, qui a toujours embaumé ses clients avec un soin exquis et une conscience professionnelle au-dessus de tout reproche, redoute de se voir confié à des mains moins expertes que les siennes. N’est-il pas le seul embaumeur de la ville ? Trop imbu de son extraordinaire talent, en ses jeunes années, il s’était montré trop exigeant avec ses jeunes apprentis et, le temps aidant, il s’était persuadé qu’il ne saurait jamais enseigner à personne les rudiments de son art. À tel point que, malgré son deuil, c’est lui, et nul autre, qui a pris soin de la dépouille de son infortunée femme, morte quelques années auparavant. De même, le chagrin n’a pas altéré son doigté lorsqu’il a dû s’occuper des restes de ses deux enfants ; une fille morte en bas âge des suites d’une longue maladie, et un garçon, mort à l’âge adulte d’un terrible accident de la route. L’un de ses derniers amis, le médecin, lui a appris, à sa dernière visite, qu’il était atteint d’un cancer du foie. Sa dernière volonté tout entière tournée vers les soins de son art, il s’est mis à écumer les villes et chefs-lieux des alentours à la recherche d’un embaumeur suffisamment expert pour qu’il accepte de se confier à lui. Il fait, au hasard de ses pérégrinations, la rencontre de personnages tous plus colorés les uns que les autres, qui ne présentent à ses yeux ni les garanties de professionnalisme auxquelles il s’estime en droit de s’attendre, ni le talent nécessaire et encore moins la dignité qui demeure en tout temps – surtout dans l’intimité de la salle de travail – de rigueur. Cependant, ils présentent tous le même travers, indépendamment de leur âge ou de leurs manies : ils considèrent tous la mort avec un détachement qu’Ambroise a bien connu, mais qu’il regrette à présent. Plus que jamais interloqué sur la nature de la mort, et par ricochet sur celle de la vie, Ambroise se décourage progressivement. La date fatidique arrive, puis s’éloigne, sans qu’Ambroise ne s’en trouve incommodé outre mesure. Agréablement surpris d’abord, puis un peu courroucé tout de même envers son ami médecin, il décide d’en avoir le coeur net. Son ami lui apprend alors que, de façon totalement incompréhensible, sa maladie est entrée dans une phase de rémission dont la longueur est impossible à déterminer. Après mûre réflexion, Ambroise décide de prendre une apprentie.


 – Antoinette Ham – 398 p. – 1996 – Étrange cheminement intérieur dont la mort constitue le moteur. Malgré tout sereine, la quête du personnage principal offre au lecteur des réflexions profondes, mais sensibles, sur la condition humaine. Cette oeuvre, plus philosophique que romanesque, aurait sa place davantage sur une table de chevet que sur les rayons d’une bibliothèque.

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