vendredi 2 février 2018

Les vitesses de la justice



On savait déjà que le système de justice – comme ceux de l’éducation, de la santé, du travail,  de la politique, etc. – fonctionnait à deux vitesses. Par exemple, à délit égal, les peines sont en général moins sévères si le coupable est quelqu’un en moyens. Est-ce parce que la personne a l’argent qu’il faut pour se payer un meilleur avocat? Ou parce que le système de justice estime que la faute ne peut être due qu’à une sorte de folie passagère, puisque la pleine possession de beaucoup de fric incite à perpétuer le statu quo légal plutôt qu’à l’enfreindre? Ou – peut-être – parce que tonton est un éminent juge et qu’il connaît le collègue qui connaît le collègue qui va siéger au tribunal, et qu’il peut se porter garant pour le prévenu? Ou parce qu’il faut tenir le pauvre à sa place, tandis que le riche entend y rester volontairement?

Bref, plus avez de pognon et moins vous pâtirez en regard de la loi; pour vous, la clémence est de rigueur.

Mais voici que la fortune a un autre effet sur le système de justice. Déjà qu’elle en biaisait les résultats de manière directe, voici qu’on apprend qu’elle en influence aussi indirectement la nature. En effet, les gens qui disposent de ressources pratiquement illimitées peuvent, dans le cas de litiges, étirer indûment les procédures, utilisant tous les recours imaginables lorsque le premier jugement n’est pas à leur avantage. De la sorte, leur dossier prend un temps de traitement indûment étiré, ce qui ne peut se faire qu’aux dépens d’autres dossiers – ceux de Monsieur et Madame Tout-le-Monde –, lesquels sont traités, lorsque leur tour finit par arriver, de manière expéditive; pour ne pas dire bâclée.

Par exemple, comme l’a si bien expliqué l’honorable Jacques R. Fournier, juge en chef de la Cour supérieure, avec sa coutumière et limpide perspicacité: «Prenez 3-4 dossiers comme ça par année et mettez-les à 35 jours […] C’est le temps de banc annuel d’un juge.» Imaginez la charge de travail du pauvre magistrat: presque 10% de l’année. Quel enfer!

En d’autres termes, les deux vitesses de la justice sont: lente et très lente.

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