C’est pas au Québec que tu verrais une affaire de même !
Pièce de théâtre au ton humoristique décapant dont les propos sont constamment gardés au superlatif, malgré la trivialité qui marque la vie et les schèmes de référence des protagonistes. La pièce dénonce en outre un mal terriblement répandu à notre époque : l’omnipotence du phénomène télévisuel où, en parodiant le mot de Marshall McLuhan, l’auteur se plaît à dire que « le médium, c’est le ravage ». Dans la salle de séjour au décor excessivement kitsch d’une maison de banlieue aisée, mais non cossue, une famille de la classe moyenne s’est réunie, en une rare occasion, pour écouter la télévision. Pour une raison inconnue, elle s’entête à regarder un film étranger, c’est-à-dire ni canadien ni américain, auquel elle n’entend goutte. La pièce débute alors que vont bon train les commentaires au sujet du film qui, lui-même, en est à ses dernières minutes de projection. Alors que le drame s’achève dans ce qui semble la plus totale confusion, les commentaires vont bon train au sujet du scénario et du jeu ampoulé des comédiens. Insensiblement, ces commentaires dérapent au point où les remarques se font de plus en plus personnelles et que l’on découvre les déboires sentimentaux à répétition du fils, qui se fait le miroir des désillusions du père à la fois quant à sa propre vie amoureuse et à sa vie professionnelle visiblement encroûtée dans la routine et l’ennui. Quant à la fille aînée, de retour à la maison familiale après une faillite personnelle, qu’elle a vécue comme le plus important échec de son existence, et la fin d’une union libre avec un universitaire étranger, qui l’a laissée par contraste étrangement indifférente, elle tente sans grand succès de se rapprocher de sa mère, laquelle s’est tournée vers l’alcool afin de se constituer un jardin secret qu’elle n’aurait pas l’imagination de se bâtir autrement. Dès que le film fait place aux actualités, les commentaires outranciers des journalistes répondent aux remarques des protagonistes et à leur ignorance patente à la fois de l’actualité, nationale ou internationale, et des notions de base les plus élémentaires de la dynamique sociale où la phrase « En tout cas, c’est pas au Québec que tu verrais des affaires de même ! » revient avec une irritante monotonie. Lorsque, une demi-heure plus tard – la pièce est écrite en temps réel – , le bulletin de nouvelles cède l’antenne à un autre film étranger, la solidarité illusoire qui s’était constituée le temps des actualités s’effrite rapidement et les protagonistes se retirent les uns après les autres en se souhaitant une bonne nuit avec toute la causticité dont ils sont capables. Seul demeure le père, qui poursuit son écoute par désoeuvrement, lequel est devenu la principale caractéristique de sa vie. Il tente, en dépit de tout, de saisir les fils et les ramifications du film que, dans un soliloque final, il raccorde à sa propre vie afin de lui donner un sens.
– Laurence Desmarais – 120 p. – 1993 – Poignant témoignage quasi surréaliste de la vie contemporaine, en mettant particulièrement l’accent sur les effets délétères de celle-ci à l’endroit des valeurs familiales.
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