lundi 23 mai 2022

Catalogue

 


Parisis, la monnaie


Homme de peu de besoins, Roger est un quadragénaire dont la vie apparaît régie avec une inflexible immuabilité. Employé d’une grande banque, son expérience au sein de l’institution et sa connaissance approfondie du marché international de l’argent ont fait de lui le meilleur cambiste. Tous les jours, ses fonctions l’appellent à échanger des sommes colossales d’une capitale à l’autre, sans jamais se laisser impressionner par les montants. Homme d’une efficacité absolue, il est en outre d’une dévotion sans borne envers l’entreprise qui l’emploie. Totalement dépouillé de toute ambition personnelle, il ne veut que se dévouer pour la réussite financière de « sa » banque. Jouissant de la totale confiance de ses supérieurs, il leur témoigne en retour une servilité totale où il s’attache même à s’habiller comme eux, à affecter leurs maniérismes et à imiter leurs tics de langage, sans manquer non plus de ne s’exprimer, au travail ou ailleurs, qu’à l’aide du jargon des cambistes. Alors que ses collègues considèrent sa vie privée aussi limpide que sa vie professionnelle, Roger possède une passion dont seuls son épouse et ses enfants sont des témoins muets et effacés : il est un historien amateur. Préoccupé par les tensions qui ont mené au mercantilisme, il s’est penché sur l’évolution des monnaies dans le royaume de France, en particulier le triomphe de la monnaie de Tours, la livre tournois, aux dépens de la monnaie de Paris, la livre parisis. Ayant rédigé un article sur le sujet, quelle n’est pas sa surprise d’apprendre que cet article a été retenu pour publication par une revue historique. Comblé par cette nouvelle, il n’en demeure pas moins d’une discrétion exemplaire au travail. Aussi est-il étonné le jour où son supérieur immédiat le convoque pour lui reprocher les frivolités consistant à collaborer à ce genre de publication. Incrédule et interloqué, Roger entame alors une enquête discrète afin de savoir comment son secret a pu être révélé au sein de la banque. Convaincu que le reproche est venu d’en haut, il s’ingénie, dans ses communications internes, à laisser des sous-entendus et des doubles sens afin d’appâter l’éventuel lecteur qui a remarqué son nom dans la revue. Il découvre que ce lecteur est en fait une lectrice, la vice-présidente aux affaires internes. Alors que son travail en souffre, il entreprend de tenter de confronter celle-ci. Mais on n’approche pas ainsi une vice-présidente de banque, et Roger devient la malheureuse victime de ses machinations, jusqu’à ce que, prisonnier du bureau de la femme, il doive se soumettre à ses avances. Découvrant qu’il a été le jouet, dans tous les sens du mot, d’un abus de pouvoir, Roger se met en frais d’exercer sur ses supérieurs, complices à un degré ou à un autre de toute l’affaire, une vengeance extrêmement perfide.


 – Éric Hist – 298 p. – 1988 – Amusante caricature du monde de la finance, en même temps qu’une frappante analogie entre les mondes moderne et ancien quant aux abus auxquels mène le pouvoir de l’argent laissé sans entraves au sein de nos sociétés.

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