mercredi 11 mai 2022

Catalogue

 


Nuage noir


Sur le circuit Gilles-Villeneuve, un homme s’entraîne quotidiennement à vélo. Athlétique, il aime se griser de vitesse. Chaque jour le ramène en ce lieu où, grâce à l’effort physique, il parvient non seulement à oublier, mais également sublimer, ses soucis professionnels et sentimentaux. De plus en plus aliéné dans son travail – il est cadre intermédiaire dans un bureau d’ingénieur – , il craint d’être acculé à une mise à pied aussi proche qu’inévitable. En même temps, sa femme, qu’il soupçonne à juste titre d’infidélité, menace de le quitter et d’emmener leur fils et l’essentiel de leurs possessions. Ne trouvant d’évasion que dans la pratique du vélo, il se livre à cet exercice avec de plus en plus de détermination, presque de l’acharnement, à mesure que l’étau des contraintes se referme sur lui. Cette pratique physique prend, au fil des jours, une dimension spirituelle alors que la piste, fraîchement refaite, devient son interlocuteur avec lequel il partage le fruit de ses méditations et l’essentiel de ses craintes. D’abord en son for intérieur, puis à haute voix, le cycliste entame avec la piste un étrange monologue où, à chaque kilomètre, il raconte non plus seulement ses craintes et ses troubles, mais également où il se livre tout entier, sans tricherie ni fausse pudeur. Progressivement, cet étrange rapport devient davantage intime alors que, littéralement aspiré dans un état second, le coureur a l’impression que la piste l’entoure comme le ferait un nuage noir irradiant une chaleur qu’il ne trouve plus nulle part auprès des humains. Un jour, au creux du nuage, une voix l’appelle. Il s’engage alors entre lui et cette voix lointaine un dialogue curieux où les pensées du cycliste sont anticipées par la voix qui, apparemment, écoute sa complainte solitaire depuis un certain temps. Graduellement, la voix prend corps. Les pressions extérieures le rebutant de plus en plus, le cycliste étire ses sessions d’entraînement, prolongeant le dialogue avec la créature du nuage noir. Bien qu’il soit durement éprouvé par les circonstances, son attitude devient de plus en plus sereine envers et contre tout. Alors que ses collègues et sa femme, décontenancés devant son comportement apparemment déconnecté de la réalité, songent sérieusement à le faire interner, le cycliste multiplie les escapades au cours desquelles son entourage cherche en vain à le localiser. Pendant ce temps, le personnage du nuage prodigue au coureur son réconfort, dont le principal est de venir habiter le nuage avec lui, ce que le cycliste ne peut se résoudre à faire. Alors qu’il est dépossédé de sa maison, de sa famille et de son travail, il comprend que sa liberté est même menacée. La police retrouve son vélo abandonné sur la piste Gilles-Villeneuve.


 – Jules Monette – 222 p. – 1995 – Moins un récit que l’établissement d’un climat, ce roman a été annoncé par la critique comme représentant à lui seul la renaissance du « nouveau roman » québécois. Devenu un incontournable en études contemporaines, il a longtemps été l’ambassadeur de notre littérature à l’étranger.

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