samedi 18 avril 2009

L’imprécateur

Nous sommes condamnés et ceux qui parmi nous le savent, ne peuvent plus se faire entendre et quand ils le pourraient, ils aimeraient mieux garder le silence. À quoi bon désormais prêcher les sourds et désabuser les aveugles? Les empêcherons-nous de persévérer dans le mouvement qui les emporte? Nous allons droit à l'avenir le plus horrible, cet avenir préludera du jour au lendemain, nous nous y trouverons plongés sans même entendre à ce qui nous arrive, il ne nous restera plus qu'à mourir désespérés en l'univers inhabitable. Les hommes se faisaient la guerre pour la possession du sol, ils s'entr'assommeront demain pour accéder à la possession de l'eau, quand l'air nous manquera, nous nous égorgerons afin de respirer au milieu des ruines. Nous attendrons que la science opère des miracles et nous en exigerons bientôt l'impossible, mais elle est dépassée par nos besoins et jamais plus elle n'y suffira, nous sommes plusieurs milliards de trop à demander le paradis sur Terre et c'est l'Enfer que nous rendons inévitable, notre science aidant, sous la houlette de nos bergers imbéciles. Notre avenir dira que les seuls clairvoyants étaient les Anarchistes et les Nihilistes.

Albert Caraco (1919-1971), Bréviaire du chaos, L'Âge d'Homme, 1999, p.103

Litanie inspirée, poème en prose d'une apocalypse imprévue, le Bréviaire du chaos, n'est, au fond, qu'une énumération d'évidences que, trop frivoles et trop lâches, nous n'osons plus regarder en face.

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