Marcel Marceau hausse le ton
Délire schizophrène où le lecteur se trouve jeté sans ménagement dès la première page, alors qu’il est confronté aux angoisses terrifiantes d’une jeune malade. Tandis que déferlent les images distordues de la réalité et leurs mises en contexte biscornues, le lecteur est mené progressivement vers l’unique oasis de ce délire savamment orchestré qui n’est autre qu’un mime dont le jeu a pour effet de calmer, pendant un temps, les assauts de la déraison. L’action alterne entre les visions cauchemardesques de la jeune malade et la réalité où les thérapeutes tentent sans succès de lui apporter, sinon la guérison, tout au moins un peu de soulagement. Le lecteur est amené à comprendre, grâce surtout au mime lui-même qui devient le seul ancrage de cet esprit en perdition, que la jeune malade n’a gardé qu’un seul souvenir du monde réel, soit le jeu d’un certain Marcel Marceau, auquel d’ailleurs le mime de ses fantaisies ressemble quelque peu. Le roman s’engage ensuite dans la voie d’un échange troublant entre la jeune femme et l’objet de ses visions où le mime tente non pas tant de la sortir de son délire, mais de l’aider à gérer sa maladie, sans que, pour autant, elle comprenne l’utilité ou la pertinence des gestes qu'il tente de lui faire poser. Ainsi, lorsqu’elle se livre à des actes répréhensibles, la plupart du temps à caractère sexuel, le mime, qu’elle a surnommé Marcel Marceau à défaut de savoir son véritable nom, intervient afin d’atténuer la portée de ses actions. Ces interventions laissent les thérapeutes songeurs, ne sachant si ces rémissions comportementales sont le fruit de leurs propres soins, qui en d’autres moments restent sans effet, ou si elles sont uniquement dues au hasard. Un nouveau psychanalyste arrive à l’institution et s’intéresse particulièrement au cas de la patiente. D’abord incapable de comprendre le comportement imprévisible de la jeune femme, il craint qu’elle ne soit en train de sombrer dans un état catatonique voisin du coma. Cependant, l’apparente apathie de sa patiente provient d’un duel intérieur qui se déroule entre elle et le mime qui a découvert, avec effroi, qu’elle est tombée amoureuse du nouveau médecin. Cette lutte sans merci qui se déroule entre ses sentiments et son subconscient débouche sur une succession de crises violentes au cours desquelles le mime cesse d’atténuer les effets des visions cauchemardesques qui assiègent la raison de la jeune femme, pour participer activement à leurs débordements, et ce, uniquement afin de la détourner de sa folie amoureuse. À la fin, épuisée par la torture permanente à laquelle elle est soumise, elle trompe la surveillance des gardes et se jette du haut d’une terrasse surplombant les jardins de l’hôpital. Au moment de glisser dans le coma fatal, le mime lui apprend enfin son véritable nom qu’elle entend à peine.
– Richard Delaney – 312 p. – 1995 – Descente dans les enfers du subconscient où l’auteur, avec une saisissante pertinence, laisse libre cours à une imagination débridée et inquiétante. Le centre du récit est moins une malheureuse que la fragile psyché humaine.
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