Le rancart à balai
Le Québec, en tant qu’entité culturelle, possède des caractéristiques uniques qui lui sont propres. Depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui, son évolution représente une expérience socioculturelle qui n’a pas son pareil. En effet, en retrait par rapport aux grands courants culturels nord-américains, il s’est également retrouvé coupé de ses origines culturelles. Ainsi, contraint d’évoluer par ses propres moyens, il a, malgré les contraintes, développé des normes et des valeurs particulières. C’est en s’inspirant de la problématique du mariage, et surtout de sa charge symbolique, que l’auteur met ainsi en évidence le « cas québécois », qui place le Québec dans une niche particulière au sein de l’ensemble culturel occidental. Jugeant à juste titre que la formation de la cellule de base de la société – la famille – est probablement le plus représentative des mécanismes de socialisation, c’est grâce à elle que le caractère particulier du Québec émerge le mieux. La Nouvelle-France a connu une mise en place assez curieuse des rapports unissant les hommes et les femmes. Aux premiers temps de la colonie, les femmes d’origine européenne, donc bonnes à marier aux yeux des autorités tant civiles qu’ecclésiastiques, ne constituaient qu’une infime portion de la population. La rareté étant un aspect incontournable de ce qui confère de la valeur, la mystique de la femme a crû de manière démesurée, dès les origines. En effet, étant donné que les nouvelles venues dans la colonie avaient, dans tous les sens du mot, l’embarras du choix, les colons qui souhaitaient fonder une famille n’avaient, pour toute alternative, que la voie de la soumission afin de conserver auprès d’eux la future mère de leurs enfants. Si le déséquilibre démographique a été amplement compensé par la suite, il n’en demeure pas moins que le prestige de la femme est demeuré à peu près intact dans la société québécoise jusqu’à aujourd’hui, témoignant ainsi de la pérennité des mythes fondateurs pour toute société humaine. Figure de proue de la transmission de la tradition et des valeurs, la femme a gardé jusqu’à la révolution industrielle des années 1920 une aura intacte. Effritée par la concentration de la population dans les villes, cette aura s’est définitivement brisée avec la Révolution tranquille et l’arrivée tardive du Québec en plein XXe siècle, avec près de soixante ans de retard sur le reste du monde occidental. L’image traditionnelle de la femme est cependant demeurée très vivante dans l’inconscient collectif et dans l’imagerie populaire. Au sein de la structure familiale, elle a toujours occupé un rôle prédominant, aux dépens de l’homme qui, pour sa part, s’est le plus souvent retrouvé marginalisé dans son identité.
– Éric Huppert – 300 p. – 1993 – Sociologue d’origine française, l’auteur a connu son premier contact avec le Québec en tant qu’étudiant. Devenu depuis « le plus québécois des Français », son talent d’auteur n’a d’égal que la justesse de ses analyses.
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