vendredi 16 septembre 2022

Catalogue


 

Jamais les morons ne m’auront


Il s’agit d’un essai critique de toute la société contemporaine qui, avec la disparition de ses derniers projets collectifs, plus ou moins liés à l’idéal social-démocratique, s’est enfoncée dans ce que l’auteur appelle la « médiocrité symbolique ». D’entrée de jeu, il met en évidence les nouvelles valeurs de la société postindustrielle, tant au Québec qu’ailleurs en Occident, et, en les poussant à leur logique ultime, prouve par son analyse qu’elles sont littéralement nivelées par le bas. Il ne s’agit pas pour autant d’un essai à strictement parler politique, car l’auteur applique son modèle tant au monde du sport qu’à celui des arts, et en arrive essentiellement aux mêmes résultats. Dans cet affaiblissement général des référents collectifs où l’être humain ne se voit plus offrir qu’une réalité vide et insipide, préfabriquée afin de répondre à des canons la plupart du temps fortement influencés par l’impérialisme culturel états-unien, l’être humain est condamné à une dégénérescence intellectuelle à peu près inévitable. En effet, de moins en moins la société cherche-t-elle à élever le niveau intellectuel de la population. Le retrait étatique de la plupart des champs culturels, la compression des enveloppes budgétaires consacrées à l’éducation, le peu de ressources réservées aux artistes créateurs n’en sont que quelques manifestations tangibles. À travers la philosophie libérale prônée depuis la fin des idéaux socialisants, c’est toute la mise en tutelle de l’imaginaire qui apparaît en filigrane. Ainsi, la population privée des stimuli nécessaires à une élévation des grands débats collectifs se voit de plus en plus dépendante de ses leaders d’opinion, lesquels lui sont également imposés, tout comme les schèmes de pensée qui deviennent les référents illusoires, et transitoires, des prises de position collectives. Dans cette optique à la limite de la non-existence intellectuelle, de nouveaux intervenants prennent le devant de la scène dans tous les champs d’activité. Qu’il s’agisse du domaine économique, social ou artistique, les nouveaux porte-parole sont sélectionnés uniquement en fonction de leur adhésion aux valeurs mises de l’avant par la « médiocrité symbolique ». À la fois sanctionnés par une espèce d’« imprimatur » nouveau genre, et consolidateurs du nivellement par le bas, ils évacuent et ridiculisent tous les discours alternatifs qui peuvent, d’une manière ou d’une autre, remettre en question le discours dominant. Si, dans certains milieux, la contestation n’est pas encore morte, ces milieux, isolés sciemment par l’ensemble des soi-disant experts, se retrouvent acculés à une sorte d’élitisme qui les coupe des contacts avec l’ensemble de la communauté où elles évoluent. 


– Laurent Daulnay – 220 p. – 1989 – Érudit ayant participé à tous les grands débats sociaux qui ont marqué le Québec depuis les années 1960, l’auteur livre ici en quelque sorte son testament moral, qui ne manquera pas de devenir une pièce d’anthologie.


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