mercredi 10 novembre 2021

Catalogue


 Le bien-fait-pour-sa-gueule


Un groupe d’amateurs de théâtre, qui se réunit tous les mercredis pour s’adonner à son passe-temps préféré, s’attarde, après les représentations, afin de discuter de choses et d’autres. Le plus souvent, le sujet à l’ordre du jour est l’excès de violence au cinéma que ces bonnes âmes déplorent vivement et contre laquelle elles estiment qu’une action énergique devrait être entreprise. Octave est l’un de ceux que l’inertie de ses contemporains et celle du gouvernement choque tout particulièrement. Un soir, il suggère à quelques-uns de ses compagnons un plan radical afin de secouer cette inertie impardonnable et immédiatement met sur pied l’Association du bien-fait-pour-sa-gueule. Il s’agit ni plus ni moins de regrouper des hommes et des femmes déterminés et de les envoyer en mission dans les salles de cinéma. À chaque fois qu’un des protagonistes à l’écran subit une fin violente ou une quelconque forme de voie de fait, le commando doit s’exclamer à tue-tête dans la salle obscure : « Bien fait pour sa gueule! » Les premières interventions de l’Association surprennent le public. Si, au début, ce dernier se fait indulgent et, dans une certaine mesure, accommodant, il se lasse vite de la bande d’énergumènes qui vient chaque fois gâcher son plaisir. Aussi, les interventions de l’Association deviennent-elles de plus en plus risquées, tandis que la patience des amateurs de cinéma est de plus en plus mise à rude épreuve et que des échauffourées éclatent dans les salles, forçant ainsi l’intervention de la police. Qui dit police dit également arrivée des journalistes et, du jour au lendemain, l’Association du bien-fait-pour-sa-gueule atteint une notoriété plus qu’enviable. Ses membres sont publiquement félicités par des personnalités en vue, Octave est même reçu par quelques ministres. Cette popularité voit des volontaires affluer dans les rangs de l’Association, ce qui permet de pallier les risques que couraient les commandos en mission. Désormais, c’est en groupes compacts que les membres prennent d’assaut les salles de cinéma. Graduellement, l’industrie du cinéma, craignant que de telles manifestations ne dégénèrent en émeutes, préfère en revenir à un genre cinématographique plus convivial. Alors que Octave et les siens sont applaudis par toute la société des bien-pensants et qu’ils savourent une victoire chèrement acquise, une ombre se profile à l’horizon tandis qu’ils entendent parler d’une invention qu’ils comprennent mal, voire pas du tout, et qui, disent les experts, symbolisera le triomphe de leur action pacificatrice : la télévision.


 – Édith Hallal – 364 p. – 1991 – Il s’agit ici moins d’un roman humoristique que d’une allégorie, hilarante par moments, où sont mis en lumière non seulement les travers de la société enfantée par les médias, mais également la complaisance des masses qui se laissent manipuler avec plaisir.

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